◊ Le Pragmatisme, William James, 1907
◊ L'espoir au lieu de savoir. Introduction au pragmatisme, Richard Mc Kay Rorty, 1995
William James (1842-1910)
Frère aîné de l’écrivain Henry James. Jeune homme, il a longuement hésité entre la médecine et la peinture. Après une crise existentielle et une soudaine illumination, où il pense avoir découvert la notion de libre arbitre (je suis ce que je veux devenir), il décide finalement de se consacrer à la philosophie et à la psychologie. À Harvard, il va créer le premier laboratoire de psychologie expérimentale. Il est l’auteur notamment de Les Formes multiples de l’expérience religieuse (1902).
Richard Mc Kay Rorty (1931-2007)
Considéré comme le rénovateur du pragmatisme aux États-Unis, Richard Rorty était un esprit brillant, malicieux, ironique et sceptique. Il s’est fait le défenseur de la tradition pragmatique qu’il interprète d’une manière assez souple. « La vérité vit à crédit », disait William James. Mais c’est surtout en matière d’éthique et de politique que Rorty a défendu le pragmatisme.
Le pragmatisme, 1907 William James
De 1871 à 1876, à une époque où « les philosophes en Amérique sont aussi rares que les serpents en Norvège 1 », se réunissait régulièrement à Cambridge (Massachusetts), tout près de l’université de Harvard, un petit club d’intellectuels pour y discuter de philosophie, de morale, de politique et de diverses questions scientifiques. Au sein de ce petit groupe, deux personnages tenaient une place éminente. Charles S. Peirce (1839-1914), logicien et physicien travaillant à l’Institut géodésique, sera l’un des fondateurs de la sémiotique (science des signes). William James était l’autre figure marquante du groupe. C’est lui qui va d’ailleurs populariser les idées majeures de la petite secte philosophique qui est à l’origine du courant intellectuel le plus influent en Amérique : le pragmatisme.
À travers conférences, brochures, livres, diffusés tant aux États-Unis qu’en Europe, James a réussi à vulgariser une pensée, au départ assez disparate et encore en gestation, ceci n’étant d’ailleurs pas du goût de Peirce, esprit scrupuleux ne cessant de reformuler son système, qui prendra bientôt ses distances avec son ami.
Dans Le Pragmatisme, petite brochure qui connaîtra un grand succès, James offre donc du pragmatisme une présentation simplifiée et radicale. Influencé par Charles Darwin et la théorie de l’évolution, James propose une vision adaptative et utilitaire de la pensée humaine. Qu’il s’agisse de sciences, de croyances populaires, de conceptions morales ou religieuses, il n’existe pas de « vérité » ultime. Les idées ne sont que des supports pour penser et agir. C’est à l’aune de leur efficacité que l’on doit mesurer leur valeur. James rejette donc les faiseurs de systèmes qui prétendent fonder une philosophie, une morale, une justice ou un ordre politique parfait à partir de quelques principes premiers et universels.
L’une des conséquences de la doctrine pragmatiste de James – que l’on a qualifiée « d’empirisme radical » – est le pluralisme. S’il n’admet pas que l’on puisse atteindre une vérité absolue, il n’existe pas non plus d’erreurs définitives : il faut accepter qu’existent des vérités partielles, dont la portée ou l’utilité sont relatives, acceptables ou non selon le contexte.
La pensée en action
Alors que James et Peirce concevaient ensemble le pragmatisme, un autre penseur, John Dewey (1859-1952) concevait une philosophie voisine, qu’il nomma « instrumentalisme », reposant sur les mêmes principes : critique de la métaphysique, rôle de l’expérience dans la formation des idées, refus de tout dogmatisme et acceptation du pluralisme sur le plan moral, politique et éducatif.
Tout comme Peirce et James, Dewey était tout sauf un philosophe en chambre. Arrivé à l’université de Chicago en 1896 pour y enseigner la philosophie, il y adjoint bientôt un cours de psychologie expérimentale et un de pédagogie. Puis il fonde la première école expérimentale (que l’on appellera plus tard école Dewey).
Toute la philosophie de Dewey est liée à sa conception de l’expérience vécue. La vie entière est conçue comme une suite d’expériences. De là découle sa conception de la pensée, de l’éducation, de la vie politique. Dans How We Think (1910), Dewey soutient que la pensée de l’homme de la rue comme celle de l’homme de science s’apparentent à un processus d’expérimentation continue. En état de repos, la pensée n’a nul besoin d’entrer en action. Confrontés à un problème (théorique ou pratique), il nous faut mettre en marche notre réflexion. Alors que l’animal suit ses instincts, l’être humain fait appel à la pensée qui est un auxiliaire de l’action. Il analyse la situation (production de données), formule des hypothèses (idées), expérimente (pratiquement ou mentalement), examine le résultat. Si cela ne convient pas, il doit alors trouver une autre réponse. Ainsi naissent, vivent et meurent les idées.
Sur le plan politique, le pragmatisme conduit à justifier la démocratie, non comme un régime « idéal » mais comme un système permettant d’expérimenter des solutions puis de les corriger si besoin. De même, les problèmes sociaux doivent être traités comme la pensée en évitant de partir d’un modèle préétabli. C’est en fonction des problèmes du temps qu’il faut imaginer des solutions nouvelles, les confronter par le débat. L’expérimentation, la critique, la confrontation des opinions tiennent une grande place dans cette vision « pragmatique » de la politique.
L'espoir au lieu de savoir. Introduction au pragmatisme, 1995 Richard rorty
« Le but de l’enquête scientifique, ou de toute enquête, n’est pas la vérité, mais plutôt une meilleure aptitude à la justification, une meilleure aptitude à traiter les doutes qui entourent ce que nous disons. »
Richard Rorty est l’artisan du renouveau du pragmatisme aux États-Unis dans les années 1980. Il fait une entrée remarquée en philosophie américaine avec, en 1979, Philosophy and the Mirror of Nature (traduit en français sous le titre L’Homme spéculaire, 1990). Pour Rorty, toute la philosophie occidentale repose sur une opposition classique entre le monde des choses et celui des représentations. Cette vision de deux mondes parallèle conduit à voir dans l’esprit un « miroir » plus ou moins fidèle de la nature. Les idées sont donc des représentations plus ou moins exactes du monde réel. Mais il existe un autre point de vue possible : la vision pragmatiste selon laquelle nos connaissances ne sont pas le reflet du monde réel mais des outils plus ou moins pratiques nous permettant de vivre et de coexister avec le monde.
Rorty a ensuite étendu cette théorie de la connaissance à la philosophie morale. Dans L’Espoir au lieu du savoir, il défend une conception relativiste des valeurs morales. Si nos connaissances sont des constructions plus utiles que vraies, il en va de même des valeurs. Cette vision est cohérente avec l’esprit de la démocratie, l’école du doute et de la libre discussion qui récusent toute vision d’une vérité ou d’un bonheur absolus.