Le premier est celui de Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939), Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures, qui paraît en 1910. Dans cet essai, le philosophe français entreprend de montrer que la raison occidentale n'est pas universelle comme le pensait Descartes. Les peuples des « sociétés inférieures » pensent selon d'autres catégories que les peuples modernes. Leur pensée obéit à d'autres principes. Pour appuyer sa thèse, L. Lévy-Bruhl utilise les enquêtes menées sur les mythes et les rites des Aborigènes d'Australie. Leur pensée serait gouvernée par une « loi de participation » entre les êtres qui les rendrait étrangers aux principes d'unité et de non-contradiction qui gouvernent notre logique. Ainsi, un Aborigène peut affirmer que sa terre et lui ne font qu'un, que l'esprit d'un défunt est à la fois ici et ailleurs, que le totem est à la fois un animal et un humain... Bref, cette pensée est essentiellement « prélogique » car elle répond à d'autres préoccupations que la pensée expérimentale développée en Occident. Lévy- Bruhl développera sa thèse dans ses ouvrages successifs, notamment La Mentalité primitive (1922).
La théorie de L. Lévy-Bruhl va connaître une audience exceptionnelle. Elle sera commentée et débattue à Berkeley, Londres, Bruxelles... et dépasse largement le cadre de l'anthropologie. Des philosophes (Henri Bergson), historiens (Lucien Febvre) psychologues (Jean Piaget) ainsi que des écrivains (Tristan Tzara, Blaise Cendrars) s'emparent de ses idées. Pour eux, il ne s'agit nullement de dénigrer une pensée primitive assimilée à une pensée enfantine, mais au contraire de valoriser une pensée magique, poétique et mythique par opposition à la froide rationalité occidentale...