Adam Smith Le pari de l'économie

Tout en condamnant le désir d’enrichissement, Adam Smith a parié sur le fait que son inéluctable progression ouvrait la voie à une société plus dynamique et plus prospère, capable de résister à la « tyrannie des États » comme à la « jalousie des marchands ».

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Pour beaucoup, Adam Smith serait celui qui dès le 18e siècle aurait posé les bases du libéralisme économique. La « main invisible » et le « laisser-faire 1 » : ces deux concepts auraient définitivement fixé la pensée du célèbre philosophe-économiste autour de l’idée d’un marché qui s’autorégulerait. La « théorie du ruissellement » en serait le supplément de justice : toute augmentation de richesse nationale, même si elle est d’abord réservée aux plus riches, améliorerait les conditions de vie de la société entière puisque la dépense des riches « ruissellerait » à travers tout le corps social jusqu’aux couches les plus pauvres. De plus, ce marché autorégulateur serait selon A. Smith « naturel ». Telle est la vision qui, plus de 200 ans après la mort du penseur écossais, continue de prévaloir dans les sciences sociales.

Or, cette lecture d’A. Smith est caricaturale. Le philosophe écossais, né en 1723, prend la plume pour décrire un changement d’époque et en proposer une théorie. Il s’engage par là en faveur de l’émancipation des populations face aux pouvoirs qu’il considère comme illégitimes. Alors qu’au début de la révolution industrielle, la richesse est en train de devenir la norme, l’évolution des sociétés européennes l’inquiète.

Du désir d’enrichissement

A. Smith publie en 1759 l’œuvre qui, dès son vivant, lui assurera une renommée internationale : Théorie des sentiments moraux. Il y adopte le sentimentalisme moral développé par son ancien professeur, Francis Hutcheson. Ce dernier considère que notre sens moral n’est pas dicté par la raison, mais fondé sur les sentiments et les passions. De même, A. Smith comprend la moralité comme une trame forgée par les liens sensibles entre soi et autrui. La sympathie en est l’opérateur central : c’est la capacité de se mettre à la place d’autrui et, dans le même temps, de rendre compte de sa propre expérience à travers le regard des autres.

Dans cet ouvrage, A. Smith dépeint une tendance généralisée à la dégradation des sentiments moraux. En cause ? « Cette disposition à admirer, et presque à vénérer, les riches et les puissants, ainsi qu’à mépriser, ou du moins négliger, les personnes pauvres et d’humble condition. » Le désir de richesse participe selon lui à la « corruption généralisée des sentiments moraux ». La société d’hier, « chaude », construite sur des liens de convivialité et de bienveillance, est en passe d’être remplacée par une société « froide », où l’échange marchand se substitue à tout autre horizon moral. Le penseur écossais examine alors les « illusions » qui sous-tendent ce désir de richesse. Promesse illusoire de bonheur, la richesse n’apporte que des « bibelots d’utilité frivole ». Pire, l’immense édifice nécessaire pour entretenir une vie de luxe et de mondanités, extrêmement fragile, peut s’effondrer à tout moment… Et une personne de modeste condition qui s’acharnerait, sa vie durant, à vouloir bâtir un tel édifice y dépenserait bien plus d’énergie qu’elle en tirerait de plaisir.