Apprendre autrement

Bouger, expérimenter, coopérer, twitter… Il existe de nombreuses manières de construire ses apprentissages. Encouragées par les avancées de la psychologie cognitive, les méthodes actives prennent une place croissante dans l’enseignement et la formation.

Bouger

« Marcher stimule la créativité dans beaucoup de domaines : ainsi, nombre d’écrivains célèbres, de Jane Austen à Charles Dickens, ont trouvé l’inspiration au cours de leurs fréquentes et longues promenades », écrit Barbara Oakley dans un livre… concernant l’apprentissage des mathématiques et des sciences ! Cette chercheuse américaine (Oakland University) corrobore ainsi nombre de travaux selon lesquels la marche accroît les capacités cognitives. Ainsi, une étude espagnole a montré que les adolescentes qui se rendaient à l’école à pied avaient de meilleurs résultats à des tests standards que celles qui rejoignent leur établissement en bus ou en voiture.

Des chercheurs de l’université de Stanford (États-Unis) ont mesuré la créativité des étudiants en leur demandant de trouver un maximum d’usages inédits pour un objet usuel. Pour s’adonner à l’exercice, une partie d’entre eux restait immobile, l’autre partie était invitée à se déplacer. Le nombre de réponses inventives du groupe de marcheurs s’est révélé supérieur de 80 % à 100 % à celui qu’obtenaient les personnes assises.

Et qu’en est-il des exercices « proprioceptifs » destinés à augmenter la capacité à percevoir son propre corps, comme, grimper à un arbre, courir pieds nus, ramper sous des obstacles ? Une étude de l’université de Floride a été effectuée sur des adultes de 18 à 59 ans : ce genre d’activités augmente la mémoire de travail très rapidement. Pour l’auteure Ross Alloway : « Cette recherche suggère qu’en accomplissant des activités qui nous font réfléchir, nous pouvons exercer notre cerveau en même temps que notre corps… Elle présente des implications importantes pour enfants comme adultes. En prenant une pause pour effectuer des activités imprévisibles et qui nous obligent à adapter consciemment nos mouvements, nous pouvons renforcer notre mémoire de travail pour mieux travailler dans la salle de classe et de réunion. »

Ainsi, des enfants d’école primaire ont été soumis à des tests où ils devaient, avec leurs bras, créer des angles spécifiques (aigu, obtus, droit) ; leurs gestes étaient projetés sur un écran. Le niveau de compréhension de ces enfants est supérieur à celui de leurs camarades éduqués par une représentation plus statique des figures géométriques.

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Aujourd’hui, les recherches sur le sujet se multiplient. Ces découvertes récentes amèneront-elles à rompre avec l’organisation immuable des classes traditionnelles et de leurs sacro-saintes rangées de tables et de chaises, où les élèves doivent rester immobiles durant de longues heures de cours ?

À lire
• A Mind for Numbers. How to excel at math and science (even if You flunked algebra) 
Tarcher/Penguin, 2014. 
• « Apprendre c’est marcher ! » 
Rémi Sussan, http://internetactu.blog.lemonde.fr/2016/01/30/apprendre-cest-marcher/


Marcher pour mieux penser

Dans l’Antiquité grecque, on les appelait les péripatéticiens (du grec peripatetikos dérivé de peripateîn, « se promener »), par allusion la manière qu’avaient les Grecs d’enseigner la philosophie en marchant. Socrate déambulait dans les rues d’Athènes en s’adressant au tout-venant (ce qui lui valut finalement de boire la ciguë). Platon et Aristote le faisaient de manière plus académique, en arpentant les allées du Lycée, réservé à une petite élite…
« Lorsque mon corps marche, c’est mon esprit qui marche. Ils vont tous deux d’un même branle », écrivait Montaigne dans son Traité des trois commerces. Pour Jean-Jacques Rousseau, la seule vue d’un bureau suffisait à lui ôter tout courage. Ses idées venaient au cours des longues marches qui ont ponctué son œuvre.
Si ces philosophes-piétons pensent en marchant, ils marchent aussi comme ils pensent. Rien de commun, par exemple, entre Emmanuel Kant et Friedrich Nietzsche. Surnommé « l’horloge de Königsberg », Kant sortait chaque jour à 17 heures pour une promenade dont le parcours ne varia jamais. Hygiène minimale pour Kant, la marche est pour Nietzsche la condition de l’œuvre : « On n’écrit bien qu’avec ses pieds », déclare-t-il dans le prologue du Gai Savoir. Il peut marcher sept, huit ou dix heures, griffonnant çà et là, assis sur un coin de rocher, où il rédigera ses plus grands livres (Le Gai Savoir, Zarathoustra, Par-delà bien et mal).
• La Main à la pâte • Le site du Cri Emmanuel Vaillant, Lattès, 2017. Hanna Dumont, David Istance et Francisco Benavides (éd.), OCDE. Maria Domingo-Coscollola, Judith Arrazola-Carballo et Juana Maria Sancho-Gil, , vol. IV, n° 1, 2016. Olivier Houdé et André Tricot, , n° 252, octobre 2013.