Au commencement était l'image

À l’origine des images, il existe une capacité mentale inédite dans le monde animal : l’imagination. Elle est à la source du langage, des techniques, de l’art, des pensées et des fictions.

« Au commencement était le verbe », le premier verset de l’Évangile selon saint Jean a suscité un flot de commentaires théologiques, philosophiques, anthropologiques. Une interprétation de la formule est celle-ci : c’est la parole qui donne naissance à l’humanité. Dit autrement : c’est le langage qui fait l’humain, il est le « propre de l’homme ». Cette thèse a la force de l’évidence – quoi de plus spécifique à l’être humain que son langage ? Mais l’évidence ne fait pas toujours bon ménage avec la science.

Si le langage était le propre de l’humain, comment se fait-il que les humains aient hérité aussi d’autres capacités très singulières comme celle de fabriquer des outils ? Comment se fait-il que les humains soient aussi doués dans les arts ?

Une des hypothèses est que le langage, la technique et l’art soient eux-mêmes dérivés d’une capacité cognitive plus fondamentale. Nombre de candidats ont été proposés pour rendre compte des capacités cognitives spécifiquement humaines : l’apprentissage, l’intelligence, la culture, la conscience ou encore la « théorie de l’esprit ».

Depuis le début des années 2000, une nouvelle théorie a fait son apparition. Elle affirme que l’imagination pourrait bien représenter le facteur clé qui a fait de l’humain un être si singulier. Cette théorie de l’animal imaginatif (TAI) affirme que les images mentales sont la source commune du langage, des capacités techniques, de l’art, mais aussi de nouvelle formes de vie en société fondées sur des projets communs. Pour la TAI, au commencement n’était pas le verbe, mais plus précisément l’image mentale.

publicité

La théorie du cerveau imaginatif

Avant de présenter les arguments en faveur de cette thèse et ses conséquences sur la compréhension de l’être humain, commençons par une présentation intuitive de cette théorie. Pour cela, rien de plus simple : il suffit d’une petite expérience de pensée. Représentons-nous un instant l’image de la tour Eiffel, ou bien le visage de Mickey Mouse. Rien de plus simple ! Pourtant aucun de ces êtres n’est là pour nous servir de modèle : il suffit de convoquer leur image en pensée. Ces représentations détachées de toute perception directe, voilà ce que l’on nomme les « images mentales ». L’imagination au sens large peut être entendue comme « la capacité de créer des images dans le cerveau séparément de tout stimulus perceptif  1 ». Cette capacité imaginative ouvre accès à une foule d’aptitudes dérivées.

Tout d’abord, les images mentales, qui sont le support des souvenirs conscients, sont également sollicitées pour anticiper. Les psychologues ont d’ailleurs montré que les souvenirs et anticipations utilisent les mêmes processus mentaux  2, ce voyage mental dans le temps (mental time travel). Les images mentales sont également le support des « mondes possibles », c’est-à-dire des scénarios, des hypothèses et des actions virtuelles qui nous servent à planifier des activités (que faire à manger ce soir ? Où partir en vacances ?) ou pour résoudre toute sorte de problèmes théoriques ou pratiques.