Confucius. Sagesse d'hier...politique d'aujourd'hui

Vieille de deux millénaires et demi, la figure du sage Confucius fascine toujours. Rejetée ou adulée au cours des siècles, cette pensée morale et humaniste est intimement liée à l’histoire intellectuelle mais aussi politique de la Chine.

Une révolution dirait-on. C’est le paradoxe d’un homme qui affirmait ne rien inventer et ne viser qu’à transmettre ce que les Anciens avaient enseigné. C’est que ce jeune nobliau, fort instruit pour son époque, tendait à restaurer la morale du temps jadis pour réformer le monde et la société qui se délitaient sous ses yeux en cette fin des Printemps et des automnes (VIe-Ve siècle avant notre ère). Pour ce faire, Confucius entendait rétablir l’éthique régissant les rapports sociaux, définissant la politique. Il en trouva les fondements oubliés dans les œuvres classiques qu’il étudia dès son jeune âge : le « Classique de la poésie », celui des « Documents historiques », cet autre de la « Musique », un autre dévolu aux « Rites » et le célèbre « Classique des changements », manuel divinatoire de référence. Pourtant, ce mouvement ambitieux qui pouvait paraître, au sens propre, réactionnaire, va porter un double message : l’un humaniste (« tous les hommes sont frères »), l’autre philosophique (construire une idéologie pour penser le monde et le changer).

 

Le mouvement de la culture de soi

Les autres penseurs vont se positionner par rapport à lui, à ses disciples, à sa doctrine, essentiellement non dogmatique, pragmatique. C’est ce qui en fera la force. Confucius va définir pour longtemps la forme d’expression de la pensée lettrée : le dialogue entre un maître et un disciple. Non point un traité théorique mais un échange – supposé tel – entre celui qui sait et celui qui tend vers la sagesse. Quant au fond, il peut très succinctement se définir par une recherche du perfectionnement de soi qui vise à réformer la société des hommes. À partir de lui, toute philosophie est politique, toute politique est morale, toute morale est un retour constant sur soi et le bien dispensé à autrui autant qu’à soi-même.

Le fil rouge de la pensée confucéenne est ce que l’on a appelé l’« humanisme ». Certes, le terme, emprunté du vocabulaire de la Renaissance occidentale, peut prêter à confusion. Point de dieux régissant les rapports humains – on les tient à distance respectueuse – et point d’égalité entre les hommes. S’ils sont « frères » en humanité, ils ne sont pas égaux. Le confucianisme est profondément attentif, jusqu’à l’outrance, à la hiérarchie sociale. Mais il vise à traiter les autres avec bienveillance, à « ne point faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’il vous fît ». Ceci dit, le sage préfère ses parents aux autres hommes (culte des ancêtres oblige), ses compatriotes aux étrangers, son souverain au prince voisin et ses cultes locaux à ceux d’un autre pays. Pour se porter vers le bien, encore faut-il le cultiver en sa propre personne par ce mouvement, sans cesse remis sur le métier, de la « culture de soi ». Celle-ci n’est pas seulement éthique, elle est aussi intellectuelle ; d’où la valorisation extrême de l’étude, principalement livresque, chez les auteurs confucianistes et chez leurs adeptes lettrés.

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Une histoire longue et complexe

On ne s’étonnera donc pas que, très tôt, au cours de la première dynastie des Han (chronologie voir encadré ci-dessous), on fit de la pensée de Confucius la philosophie d’État. Par son respect de la hiérarchie, sa morale traditionnelle « familialiste », son amour de l’ordre et de l’étude des textes, elle semblait garantir la paix sociale, la stabilité politique, l’efficacité et l’autorité des administrateurs fonctionnaires d’État (les « mandarins » lettrés). Cette suprématie idéologique survécut aux nombreux aléas politiques, aux bouleversements militaires, aux invasions barbares et surtout aux préférences religieuses de certains empereurs partisans du taoïsme ou du bouddhisme, en particulier sous les Tang (VIIe-Xe siècle). Elle fut dominante, non seulement dans les institutions, mais aussi et surtout dans les pratiques sociales – y compris dans les couches modestes voire pauvres de la société – jusqu’au début du XXe siècle, sans compter les résidus demeurés dans les valeurs exprimées jusqu’à nos jours.

Mise à part son intérêt politique évident, qu’est-ce qui explique la belle longévité d’un enseignement propagé pendant deux millénaires et demi, presque sans interruption, en Chine puis dans maintes contrées voisines (Viêtnam, Corée, Japon…) ? C’est, d’une part, l’adéquation entre la morale proposée et les structures sociales, d’autre part sa compatibilité avec le système cultuel dominant, enfin son adaptabilité non dogmatique. Le confucianisme s’appuie sur les valeurs qui sont celles de la pensée chinoise traditionnelle, parce qu’il en est directement issu. La solidarité familiale, la primauté du chef de famille (image clanique du souverain), l’obéissance aux aînés – comme à toute image du « supérieur » – vont de pair avec la piété filiale hissée à la hauteur d’une vertu cardinale. Le respect des rites, considéré autant comme une fin qu’un moyen, est en rapport direct avec la pratique traditionnelle définie par les Classiques depuis l’Antiquité. Au plan religieux, le culte des ancêtres – surtout du premier d’entre eux – s’accorde parfaitement avec les choix éthiques et religieux du confucianisme. Ils ne sont pas susceptibles de heurter ces valeurs foncières comme le bouddhisme a pu le faire. Ces concordances peuvent d’ailleurs être encore observées aujourd’hui.