Déclassement : affronter la réalité Rencontre avec Louis Chauvel

Les Français sont hantés par la peur du déclassement. Et s’ils avaient raison ? C’est la thèse du sociologue Louis Chauvel, qui tire la sonnette d’alarme : les inégalités socioéconomiques seraient en train de se radicaliser en France, au détriment des jeunes et de la classe moyenne.

Dans votre dernier livre, vous prenez le contre-pied de ceux qui disent que les transformations économiques actuelles conduisent à un accroissement des richesses dans notre société. Pourquoi ?

Il s’agit en effet d’une réponse à Angus Deaton, le prix Nobel d’économie 2015, qui soutient que les sociétés, notamment occidentales, ne se sont jamais mieux portées qu’aujourd’hui. Le diagnostic est vrai si l’on mesure la croissance du revenu et du patrimoine en moyenne. Mais ici plus qu’ailleurs, les moyennes sont trompeuses car elles dissimulent des évolutions bien plus complexes, comme l’enrichissement sélectif des milliardaires et la stagnation des autres, qui peuvent avoir l’impression d’un recul. Ces chiffres peuvent être tirés vers le haut pour désigner l’amélioration considérable du sort des seniors et dissimuler la régression sociale vécue par leurs enfants, certes plus riches en téléphones portables, mais bien plus pauvres en termes de pouvoir d’achat immobilier. Mon livre consiste ainsi à étudier ce contraste entre une France qui va bien – celle des jeunes seniors des classes moyennes salariées, protégées, propriétaires – et une autre France, celle des jeunes actifs et des classes moyennes salariées.

Qui sont les classes moyennes aujourd’hui ?

Définir ces classes moyennes n’est pas aisé, puisqu’elles correspondent à une diversité de positions d’emploi, de niveaux de revenus et de sentiment d’appartenance. Henri Mendras, dans les années 1980, a dépeint l’apogée de ce groupe en ascension. Il le définissait comme un archipel, comme une constellation de catégories professionnelles centrales, pas nécessairement homogènes mais néanmoins connexes et proches par leurs niveaux de revenus moyens, comme une forme sociale construite autour des acquis de l’État providence (stabilité, visibilité de l’avenir, accès à la santé, aux services sociaux et à l’éducation pour les enfants), et plus encore comme une culture et une identité collective en opposition à la culture populaire et à celle de la bourgeoisie. Selon le caractère plus ou moins large du spectre retenu, une bonne moitié, voire deux tiers de la population peuvent s’assimiler aux classes moyennes inférieures, intermédiaires ou supérieures. En 2006, dans mon livre Les Classes moyennes à la dérive, je montrais comment le mouvement d’ascension perpétuelle décrit par H. Mendras s’est interrompu. À l’époque, il était encore possible de croire que les classes moyennes étaient protégées contre la crise, qu’elles vivaient à l’écart du chômage et de la précarité. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui. Beaucoup de ses ressortissants ont l’impression d’un recul. Mon travail consiste à aller au-delà de l’hypothèse de « peur du déclassement » pour comprendre la réalité du déclin vécu par beaucoup.

publicité

Vos précédents ouvrages évoquaient déjà la menace du déclassement social. D’où vous vient cet intérêt pour ce sujet ?