Des télétravailleurs libres mais épuisés

Le télétravail a changé la vie des salariés, mais pas de la même manière pour tous. Synonyme de davantage de liberté pour certains, il rime pour d’autres avec contrôle et perte de légitimité.

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Le lundi matin, Léna se réveille à Marseille. Après avoir bu un café, la chargée de communication rejoint sa compagne Aurélie dans le salon. Face à face, de part et d’autre d’une grande table, elles ouvrent leurs ordinateurs et se mettent au travail. Léna habite pourtant à Paris, où sont situés les bureaux de son employeur, une association d’aide humanitaire. Mais aujourd’hui et demain, elle est en télétravail. Elle réalisera toutes ses missions depuis l’appartement d’Aurélie, et le couple pourra passer quatre jours ensemble sous le soleil phocéen – au lieu d’un court week-end habituellement. « Le télétravail m’apporte une flexibilité et une liberté incroyables !, s’exclame Léna. Cela me permet d’investir davantage mes centres d’intérêt, de développer une activité artistique, de me nourrir intellectuellement… » Elle écoute des émissions de radio ou des podcasts en travaillant, et prend l’habitude de peindre pendant ses pauses.

Une majorité de télétravailleurs seraient aussi conquis que Léna, d’après une enquête publiée par l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT en septembre 2021. 83 % des répondants indiquent bien le vivre, 71 % trouvent qu’il offre davantage de souplesse dans les horaires, et nombre d’entre eux estiment être moins fatigués dans ces conditions. Un avantage majeur évoqué par les salariés est l’économie du temps de trajet. « Il ne faut pas minimiser la question des transports, déclare Sophie Binet, cosecrétaire générale de l’Ugict-CGT. Ce n’est quand même pas rien dans une semaine de gagner six à dix heures, en termes de fatigue évitée notamment. » L’autre motivation principalement invoquée par les salariés est un meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle. Mais derrière cet apparent consensus se cachent une réalité plus complexe et une forte hétérogénéité selon les individus 1.

Des journées de travail plus longues

Selon Gabrielle Schütz, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et coordinatrice scientifique du numéro 43 de Sociologies pratiques, « Les organisations à l’épreuve du télétravail », les conditions de travail pourraient s’être dégradées : « Dans mes enquêtes au sein d’organisations publiques, j’observe pour beaucoup de salariés un allongement du temps de travail. La grande majorité des personnes que j’ai rencontrées disent que cela permet de ne pas être tout le temps interrompu et de gagner en efficacité… Mais qu’il y a aussi moins de pauses dans la journée. » Même l’argument du temps de transport ne va pas de soi : dans les faits, ces moments gagnés sont le plus souvent utilisés pour travailler davantage ; on commencera plus tôt en espérant finir sa journée plus tôt, mais sans succès… Léna reconnaît elle-même que le télétravail a ses mauvais côtés. Elle confie aussi avoir parfois du mal à séparer les temps d’activité et de repos. « Je fais tout sur mon ordinateur personnel, ce qui crée parfois un flou et m’empêche de me concentrer… » Autant de facteurs qui peuvent jouer de manière négative sur la santé mentale et physique des télétravailleurs : angoisse, anxiété, stress, troubles musculo-squelettiques… Des risques notamment pointés par Émilie Vayre, chercheuse en psychologie du travail et des organisations 2.