◊ Idées directrices pour une phénoménologie pure, Edmund Husserl, 1913.
◊ La Phénoménologie de la perception, Maurice Merleau-ponty, 1945.
Edmund Husserl (1859-1938)
Jeune docteur en mathématiques, Edmund Husserl découvre sa vocation de philosophe vers 25 ans, en grande partie sous l’impulsion de son professeur Franz Brentano. Il enseigne la philosophie à l’université de 1887 à 1928. Parmi ses étudiants figure Martin Heidegger qui lui succédera à son poste de professeur. La publication en 1900-1901 de ses Recherches logiques, qui constituent, selon ses propres termes, l’œuvre de percée de la phénoménologie, est le point de départ de son influence philosophique.
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961)
Il intègre l’École normale supérieure en 1926, où il rencontre Jean-Paul Sartre. En 1930, il est reçu à l’agrégation de philosophie, et commence à travailler sur la perception, conjointement avec sa découverte de la phénoménologie d’Edmund Husserl. Il participe, avec Sartre, à la création des Temps modernes, qui devient pour lui l’instrument d’une réflexion intense sur le marxisme. La consécration vient en 1952 avec sa nomination au Collège de France, où il enseigne jusqu’à sa mort, prématurée, en 1961. Le livre-somme qu’il préparait depuis le milieu des années 1950 paraît, inachevé, en 1964, sous le titre Le Visible et l’Invisible.
Idées directrices pour une phénoménologie pure, 1913. Edmund Husserl
“Le monde est affectivement neutre”
En 1901, Edmund Husserl est assis à son bureau de travail dans sa maison de Göttingen, en train de rédiger ses Idées directrices pour une phénoménologie pure. C’est le printemps et le philosophe austro-allemand aperçoit par la fenêtre un arbre en fleur.
Cet arbre en fleur, écrit Husserl, « c’est la chose, l’objet de la nature que je perçois ; là-bas dans le jardin ». Alors que la nature nous présente des objets réels sous différents états – platane, sapin ou cerisier en fleur –, la pensée peut en extraire un schéma abstrait, une idée pure, une « essence » qui transcende toutes les figures contingentes. L’idée d’arbre est bien formée d’un tronc et de branches. Ces idées pures, ou essences, qui organisent notre pensée et donnent du sens à l’objet, voilà le sujet de la phénoménologie. Scientifique, Husserl conçoit la pensée comme une démarche devant aboutir à des conclusions universelles et irréfutables. Il a emprunté à son professeur Franz Brentano (1838-1917) la notion d’« intentionnalité ». Pour Brentano, cette dernière désigne cette capacité particulière de l’être humain à forger des représentations – qu’il s’agisse d’une orange, d’une souris ou d’un enfant – qui ne sont pas des images objectives. Elles portent la marque du sujet qui les produit : ses désirs, sa volonté, son « rapport au monde ». La théorie de l’intentionnalité avait vivement impressionné Husserl. Mais son « psychologisme » (qui supposait une totale subjectivité des états mentaux) heurtait l’esprit du mathématicien. Comment donc conjuguer la logique et le psychologique ?
Il commence alors à rédiger ses Recherches logiques, dans lesquelles il expose sa découverte. En géométrie, un rectangle est une figure aux caractéristiques universelles. On peut faire varier la taille du rectangle, changer sa largeur ou sa longueur, son essence de rectangle reste la même. Husserl appellera par la suite « variation eidétique » cette démarche qui consiste à modifier par la pensée les caractères d’un objet mental afin d’en dégager l’essence (renommée eidos). Il voudrait alors transposer cette méthode à la perception en général. Ainsi, lorsque je perçois un objet rectangulaire, je vois en lui à la fois un objet physique et une forme géométrique (le rectangle). Dans ses Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, Husserl synthétise sa pensée et expose donc son projet : la phénoménologie est la « science des phénomènes » car « elle s’occupe de la conscience ». À ce titre, elle est une « science des essences » ou « science eidétique ».
La Phénoménologie de la perception, 1945. Maurice Merleau-Ponty
Disciple d’Edmund Husserl et de Martin Heiddeger, Maurice Merleau-Ponty est l’un des premiers à importer la phénoménologie au cœur du débat intellectuel français. Dans son œuvre majeure, La Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty fait de la perception l’acte psychique le plus fondamental, situé « plus bas » que le cogito des philosophes, mais « plus haut » que le corps objectif de la science. La perception, selon lui, doit être pensée au-delà des convictions de « l’attitude naturelle (1) » qui considère nos représentations comme le pur reflet du monde extérieur ou comme une pure réinvention de l’esprit. S’inspirant de l’idée d’intentionnalité de la conscience, déjà développée par Husserl, Merleau-Ponty explique que la perception est toujours prise dans un rapport entre le monde et un « corps explorateur ». C’est pourquoi il réfute la thèse d’une « sensation pure » qui serait isolée du monde. Très inspiré par la Gestlapsychologie (2) (qui s’est développée en Allemagne parallèlement à la phénoménologie), Merleau-Ponty définit la chose perçue comme « une figure sur un fond ». Autrement dit, une donnée sensible (une table, une fleur, un visage) ne peut se révéler qu’à travers des formes et schémas perceptifs de base. À mi-chemin de l’esprit et du corps, du sujet et de l’objet, la perception est un acte ambigu qui défait tous les modes habituels de la pensée. En vérité, l’une des grandes prétentions de la philosophie de Merleau-Ponty est de montrer que le sujet n’est pas une entité métaphysiquement séparée, désincarnée, mais un être participant ontologiquement aux choses qu’il perçoit. Avant d’être une conscience réfléchie, le sujet est un être fait de la même chair que celle du monde.