L'œuvre d’Emmanuel Kant est immense et aborde tous les domaines de la philosophie : la question de la connaissance, la morale, l’esthétique et l’art, la théologie et le problème des religions instituées, la politique, l’anthropologie. Cependant, toutes les réflexions kantiennes partent d’un point central, à savoir ce que le philosophe appelle lui-même, dans la seconde préface de Critique de la raison pure (1781, remanié en 1787), la « révolution copernicienne » : ne parvenant pas à expliquer les mouvements du ciel en considérant que le Soleil tourne autour de la Terre, Copernic se demande s’il ne vaut mieux pas accepter l’hypothèse selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil ; de là, Copernic parvient à calculer de façon logique les mouvements du ciel.
La liberté, condition première
Kant reprend l’idée du scientifique pour l’appliquer à la pensée philosophique : si nous cherchons à connaître les choses (la liberté, l’espace, le temps et la nature) comme si elles étaient en dehors de nous, en partant des choses elles-mêmes, nous produisons alors parfois de faux raisonnements et des superstitions : je vois que le Soleil tourne autour de nous, donc la Terre serait centrale. Nous produisons également des idéaux inaccessibles qui arrangent bien les pouvoirs politiques et religieux (la liberté nous serait interdite, la morale relèverait d’une autorité supérieure, la pensée serait réservée à une élite).
Ainsi, la formule « révolution copernicienne » prend un sens philosophique avec Kant : le sujet pensant doit, avant de réfléchir sur le monde, réfléchir sur lui-même et les moyens nécessaires qu’il possède en vue de l’établissement des connaissances rationnelles. Il doit juger ce que la raison peut connaître et ne pas connaître. Pour cela, le sujet kantien examine les conditions a priori de la connaissance. A priori, ici, ne signifie pas « en apparence » ou « au premier abord », mais au sens propre « en premier », antérieurement à toute expérience de connaissance, de toute perception sensorielle. De quoi s’agit-il ? Des formes préalables à tout savoir, que nous avons en notre raison, de façon naturelle et universelle, indépendamment de tout contenu comme les cadres de l’espace et du temps.
Pour Kant, les êtres humains sont tous naturellement doués d’une raison et cette raison présente en elle-même les qualités pour connaître le monde. Du moins une partie. Par conséquent, c’est d’abord notre raison et ses principes qu’il faut connaître.
Sapere aude !
Pour Kant, tout être doué de raison est libre. En quoi consiste cette liberté ? Dans « l’inconditionné » (aucune condition, sinon ce ne serait pas la liberté). L’inconditionné par rapport à quoi ? Par rapport à la catégorie de la causalité (si une chose a une cause, elle en dépend et n’est donc pas libre). Cette définition générale de la liberté prend son importance sur trois plans :
1) Sur le plan social et politique, la liberté est un bien qui est à recouvrer. En effet, Kant la définit comme un état naturel de la raison : nous sommes par essence majeurs, autonomes, du point de vue de la raison. C’est une donnée première, qui ne dépend donc d’aucune condition et d’aucune cause. Mais, dans l’histoire, la liberté est étouffée par les superstitions et les influences de toutes sortes issues de l’ensemble des pouvoirs (politiques, religieux, moraux et même philosophiques). Kant en appelle alors au progrès des Lumières pour l’émancipation d’une raison retrouvée.