Entretien avec Adam Arvidsson. «Les marques sont des reliques modernes»

La valeur économique d’une marque découle aujourd’hui des affects qu’elle suscite auprès des consommateurs, affects qui sont scrutés et gérés par les départements marketing.

Les marques, avance le sociologue Adam Arvidsson, sont aujourd’hui l’équivalent d’objets religieux. Leur valeur découle essentiellement de leur « capital éthique », c’est-à-dire des affects qu’elles suscitent auprès des consommateurs. Et le but des spécialistes du marketing consiste à entretenir et gérer des communautés affectives autour des marques et de l’expérience de vie qu’elles suggèrent.

 

Qu’est-ce qu’une marque aujourd’hui ?

Une marque s’apparente à ce que les sociologues classiques appellent un ethos, c’est-à-dire une atmosphère, un caractère capable d’intégrer les gens à une communauté partageant une expérience commune. Jusqu’aux années  1950, les marques étaient simplement des signes qui permettaient de distinguer un produit d’un autre. Elles ne différaient pas beaucoup du produit lui-même. Dans les années  1950, les entreprises ont commencé à prendre en compte commercialement la participation des consommateurs, c’est-à-dire ce qu’ils pensaient des marques et les usages qu’ils faisaient des produits. L’objectif des spécialistes du marketing s’est alors déplacé. Grâce notamment à la télévision, Marlboro a ainsi commencé à créer un style de vie associé à ses cigarettes, grâce à l’image de son cow-boy (le Marlboro man). Dans les années  1960, Pepsi et Coca Cola ne vendaient plus simplement des boissons sucrées mais une expérience de vie, une manière d’être.

Ce que vend une marque, c’est donc moins un produit qu’une expérience affective. Les marques sont aujourd’hui des objets religieux, ce sont des reliques modernes. La croix de Jésus-Christ est beaucoup plus qu’un morceau de bois : c’est un objet qui inspire à celui qui l’observe une expérience de communion avec un saint fantôme. De façon analogue, une chaussure de marque est beaucoup plus qu’une chaussure lambda. Lorsque vous marchez avec des chaussures Reebok, cela devient une marche différente, lorsque vous regardez l’heure sur votre montre Rolex, cela devient une façon différente de regarder l’heure.

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Qu’est-ce que le branding ?

Si la marque est une relique, le branding (ou management des marques) s’apparente à une religion. L’essence de la religion est de créer l’expérience d’une communauté affective. Plus encore, le branding consiste à s’approprier certaines énergies affectives et à les utiliser comme une source de pouvoir. Il s’agit ici majoritairement d’un pouvoir économique. Mais cette logique est en expansion, dans la mesure où se développe un management de la marque des ONG, de partis politiques et même de pays (en tant que destination touristique par exemple). Le management des marques est donc l’utilisation économique d’un élément religieux.