Éthique. Le retour de la morale

« Les années 1960-1970 avaient été celles de la politique (« tout est politique »), les années 90 furent celles de la morale (1) . » Le retour de la morale, qui date du milieu des années 80, a eu lieu à la fois sur la scène intellectuelle et dans les débats de société.

Dans le domaine des idées, le « renouveau de la philosophie morale » est attesté par une floraison de publications 2. Le phénomène est d'autant plus étonnant que le thème de la morale, en philosophie, était depuis longtemps passé de mode, relégué dans le camp des vieilles questions désuètes. Les questions aujourd'hui débattues renouent avec des interrogations classiques : comment fonder la morale ? Existe-t-il une morale universelle ? Comment définir le Bien et le Mal ?

Les fondements naturels de l'éthique

Dans les débats de société, la réapparition de la morale est liée à plusieurs facteurs : le déclin et le discrédit du politique, l'essor de l'humanitaire, les enjeux de la bioéthique (procréation artificielle, génie génétique), de l'environnement (principe de précaution), etc.

Une première question est largement débattue : sur quels fondements repose la morale ? On peut répartir les approches de cette question en trois groupes : les naturalistes (qui s'interrogent sur les fondements naturels de la morale), les sociologues (qui scrutent les fondements des normes et conventions sociales) et les philosophes (la morale peut-elle reposer sur la raison ?). Chaque approche a ses arguments à faire valoir.

Ces dernières années, une profusion d'ouvrages est parue sur le thème des « bases naturelles de l'éthique » 3. Ils s'inscrivent tous dans le prolongement des thèses de Charles Darwin. Dans The Descent of Man (1871), C. Darwin avançait l'idée que les conduites morales s'enracinent en partie dans les « instincts sociaux » déjà présents dans le monde animal. On observe en effet chez les animaux de très nombreuses conduites qui s'apparentent à des conduites morales : entraide pour la chasse (chez les félins, les loups...), soins parentaux (chez tous les oiseaux et mammifères), toilettage (chez les singes), assistance aux blessés (chez les éléphants), etc. Pour Darwin, il ne fait aucun doute que ces conduites sont accompagnées chez l'animal d'émotions comparables à celles éprouvées par les humains. La mère antilope doit ressentir les mêmes émotions d'amour pour ses petits qu'une mère humaine. Ces conduites sociales sont d'ailleurs favorisées par l'évolution, car les espèces qui adoptent ces conduites d'aide et d'assistance réciproques ont plus de chance de survie. Elles vont donc transmettre ces comportements à leur descendance.

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Chez l'homme, les conduites morales seraient donc issues en partie de sa nature animale. Mais elles ne se réduisent pas à cela. Pour Darwin, le propre de l'homme est de pouvoir, par son intelligence, réfléchir aux conséquences de ses conduites. Et par l'éducation, il peut les transférer de la famille ou du groupe d'appartenance vers une humanité plus large. Telle serait l'origine de la conscience morale proprement humaine.

Après Darwin, l'étude des bases naturelles de la morale est restée en sommeil pendant un siècle. Aujourd'hui, elle est désormais devenue un champ de recherche actif. A partir des années 80, la sociobiologie a cherché à rendre compte des conduites altruistes comme d'une stricte contrainte adaptative et lois de la génétique. Le primatologue Frans De Waal, quant à lui, s'oppose à cette vision strictement « instinctive » des conduites morales. Dans Le Bon Singe. Les bases naturelles de la morale (Bayard, 1996), il décrit de nombreux comportements animaux qui ne semblent pas reliés au seul intérêt reproductif : des singes adoptent des orphelins, protègent des handicapés de leur espèce, et peuvent, le cas échéant, consoler ou venir au secours d'humains.