Faut-il croire les neurosciences ?

Comment notre cerveau nous permet-il de penser ? Telle est la question posée par les neurosciences cognitives. Leurs recherches sont ambitieuses, mais impliquent des méthodes d’analyse si complexes et si spécialisées que les chercheurs doivent souvent se croire sur parole…

Les neurosciences cognitives n’ont jamais été aussi ambitieuses qu’aujourd’hui, comme en attestent le pharaonique Human Brain Project 1 à un milliard d’euros en Europe et les projets de même ampleur engagés aux États-Unis, en Chine et au Japon. On oublierait aisément à quel point ce domaine de recherche est jeune, et que par exemple, le grand congrès annuel sur le fonctionnement cérébral de l’homme (« Human Brain Mapping 2 ») n’a fêté en 2015 que ses 20 ans.

Faire confiance aux maths

Jusqu’au début des années 1990, la compréhension des mécanismes de la cognition humaine était surtout l’affaire de la psychologie cognitive, une discipline attachée à identifier nos processus cognitifs élémentaires et leur agencement lors de comportements complexes. Les relations avec le cerveau humain n’étaient envisagées qu’à travers les effets produits par les lésions cérébrales, suivant l’approche de la neuropsychologie de Paul Broca, ou par l’étude de l’électroencéphalogramme (EEG), pour estimer la durée et le séquencement de certains processus cognitifs grâce à quelques électrodes généralement collées sur le crâne.

Le domaine fut bouleversé par l’arrivée de machines capables de mesurer les variations métaboliques accompagnant dans chaque région du cerveau l’activité neuronale : TEP, IRMf, MEG. Cette révolution technique, appuyée par l’arrivée massive de l’informatique dans les laboratoires, enclencha une transformation profonde des méthodes de travail en neurosciences cognitives. On vit les unités de recherche se peupler d’ingénieurs pour développer les outils mathématiques nécessaires au traitement des données – des outils auxquels les chercheurs, dont le niveau d’éducation en mathématique n’était pas toujours aussi avancé, étaient bien obligés de faire confiance, sans toujours en comprendre d’ailleurs toutes les conditions d’utilisation.

Malgré tout, l’énergie suscitée par l’arrivée de la neuroimagerie provoqua une telle effervescence qu’il ne fallut pas longtemps avant que chaque processus cognitif, si fin soit-il, soit associé à un endroit du cerveau, au point qu’un nombre grandissant de chercheurs finirent par s’insurger contre cette nouvelle phrénologie : l’essentiel n’était pas de savoir « où », et encore moins « quand », mais « comment » le cerveau s’active.

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Faire confiance aux collègues

Les années 2000-2010 furent alors marquées par une véritable course à l’armement en termes de méthodes d’analyse des signaux cérébraux, pour en extraire jusqu’à la dernière goutte d’information et aborder enfin la question du « comment ». L’énergie des méthodologistes se tourna en particulier vers la question de la nature et du rôle des interactions entre régions cérébrales dans la cognition, afin de modéliser les réseaux qui sous-tendent les fonctions cognitives supérieures. Cela reste la grande question du moment.