Le formidable changement qui s’est produit dans la condition féminine depuis un demi-siècle est loin d’être anodin, et n’a pas fini de provoquer des remous. Après un assujettissement total plus que millénaire où elles furent entièrement vouées à la maternité et confinées à la sphère privée, exclues des études et de la citoyenneté, les femmes ont connu une spectaculaire émancipation depuis les années 1970.
Les luttes pour l’accès à l’égalité ont commencé voici deux siècles, au moment de la Révolution française. Mais c’est surtout au cours des quatre dernières décennies que la situation des femmes a radicalement changé. Les évolutions des sociétés démocratiques et de la science en constituent certains facteurs. Le puissant mouvement de libération féministe, à l’œuvre dans toutes les démocraties des pays riches dans les années 1970 a fait le reste.
D’une part, l’arrivée de la pilule et des moyens modernes de contraception, le droit à l’avortement (1975), sans compter le mouvement de libération des mœurs des années 1960, leur ont permis d’échapper à ce qui apparaissait comme un « destin biologique ». « Un enfant si je veux et quand je veux », proclamaient les féministes des années 1970…
D’autre part, les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail et dans la vie publique. Depuis les années 1960, l’augmentation de la population active a été presque exclusivement due à leur progression qui s’est poursuivie même pendant les périodes de fort chômage : aujourd’hui, elles en constituent plus de 47 %, en France, où quatre femmes sur cinq en âge de travailler ont un emploi.
Depuis les années 1970, dans la plupart des États démocratiques, les filles ont pris d’assaut les universités, où elles sont aujourd’hui plus nombreuses que les garçons (59 % en France). Elles ont investi les filières scientifiques. Certes minoritaires dans les écoles d’ingénieurs et dans les filières de mathématiques, leur présence est massive dans les secteurs de la médecine, de la biologie, du droit… Elles deviennent aujourd’hui médecins, vétérinaires ou avocates, des professions jusqu’il y a peu considérées comme des fiefs masculins.
Ne pas confondre principes et réalisation
Les démocraties modernes ont d’ailleurs accompagné et continuent de le faire ces mutations par des lois sur l’égalité des droits, dans le domaine public et privé – en ce qui concerne le travail ou le partage de l’autorité dans la famille – et contre les discriminations sexistes.
En ce début de XXIe siècle, on pourrait penser que les objectifs d’égalité des combats féministes ont été atteints. Pourtant, l’idéal égalitaire, prôné par les générations du baby-boom, qui laissait entendre que toutes les différences hommes-femmes découlaient de pratiques injustes et de discriminations, ne s’est pas vraiment matérialisé. Les inégalités de salaires (l’écart salarial hommes/femmes est de 20 % en France, à horaires équivalents), de représentation politique, le sexisme ordinaire ou les agressions plus violentes de la part de certains hommes, le différentiel quasi immuable du partage des tâches domestiques et éducatives sont devenus des sujets de préoccupation récurrents dans les médias et dans l’agenda des politiques. Il ne faudrait pas, prévient la politologue Camille Froidevaux-Metterie (1), confondre « le plan des préceptes et celui de leur réalisation ». Mais, constate-t-elle, « que l’on soit encore et encore obligé de défendre (ces droits), qu’il s’agisse souvent d’imposer leur réalisation, qu’il faille tout bonnement décider de les appliquer, dans tous les cas, c’est au nom de fondements jugés indiscutables par tous, y compris même ceux qui les bafouent (…). Le mouvement égalitariste se poursuit de façon irrésistible, fermement soutenu dans nos démocraties par un ensemble de principes consacrés par le droit. »