Ouvrez la bouche. Maintenant, tirez la langue. Très bien. Imaginez une suave et onctueuse coulée de chocolat fondant qui s’engouffre dans votre gorge… Bravo ! Vous venez de sentir l’effet d’une petite décharge de dopamine. Pensez à votre satisfaction quand vous serez repu(e), et vous aurez aussi expérimenté la sérotonine. Après le plaisir, le bonheur, en tout cas la satisfaction, pour un instant…
Le système de récompense
Bien avant la consommation de chocolat, notre cerveau a évolué pour repérer les aliments susceptibles d’assurer notre survie et y associer des sensations agréables. Les sources de satisfaction se sont diversifiées, mais le mécanisme originel, le système de « récompense », demeure. Nous le partageons notamment avec les rats, chez lesquels il a été découvert : dans une recherche retentissante publiée en 1954, James Olds et Peter Milner, de l’université McGill, au Canada, ont en effet observé que ces rongeurs étaient prêts à se « shooter » sans interruption, grâce à une électrode implantée dans leur système de récompense, et à s’abandonner au plaisir, quitte à se laisser mourir de faim.
Ce fameux système prend sa source dans le tronc cérébral, c’est-à-dire dans les profondeurs de notre cerveau, principalement dans une aire dite « tegmentale ventrale ». Il s’agit d’un véritable gisement de neurones producteurs de dopamine, qui se déploient jusque dans le noyau accumbens, une structure du lobe frontal à la jonction entre structures émotionnelles et cognitives. C’est là que la dopamine est déchargée et que naît la sensation de plaisir. Mais ce n’est pas tout : ce plaisir est rendu conscient, savouré et doté d’une signification personnelle par d’autres parties de notre lobe frontal, plus récentes, qui sous-tendent quelques-unes de nos facultés d’abstraction. Alors entre en jeu la sérotonine, modulant en retour la production de la dopamine dans l’aire tegmentale ventrale et stabilisant notre humeur (entre autres fonctions). S’invitent aussi les endorphines, « morphines endogènes qui inhibent le message douloureux et participent à la sensation de plaisir. C’est cette production qui peut conduire à l’accoutumance et à l’addiction », explique Jean-Pierre Ternaux, directeur de recherches honoraire au CNRS, coordonnateur de l’Observatoire du bonheur et auteur, avec François Clarac, d’Encyclopédie historique des neurosciences (2008) et du Bestiaire cérébral (CNRS, 2012).