Prenant le contre-pied de stéréotypes que l’on peut encore entendre ou lire, il faut rappeler que parmi celle de tous les continents, l’histoire de l’Afrique, « berceau de l’humanité », est de loin la plus ancienne. Et que les Africains peuvent se revendiquer, autant que les Européens, de l’héritage de l’Égypte pharaonique, apparue vers 4000 avant notre ère. Ajoutons que l’Afrique subsaharienne a eu des contacts avec le reste du monde dès cette époque, sauf avec… les Européens. Ceux-ci ne l’ont « découverte » qu’au XVe siècle !
L’or africain nourrissait le commerce mondial
Déjà avant l’islam, les Arabes parcourent les côtes longeant l’océan Indien, où la culture et la langue swahilies (de la famille linguistique bantoue, métissée de persan puis d’arabe) sont enracinées au XIIe siècle. Des expéditions chinoises abordent en Afrique orientale du XIVe au XVe siècle, jusqu’à ce que l’empereur de Chine interdise à ses sujets de naviguer. À Grand-Zimbabwe, cité connue par sa grandiose architecture de pierre mais disparue vers le milieu du XVe siècle (les Portugais n’arrivèrent là qu’un siècle plus tard), on a retrouvé de la porcelaine chinoise, échangée de relais en relais contre l’or offert par le pays.
De même, Hérodote, historien grec du Ve siècle avant notre ère qui résidait en Égypte, avait déjà entendu parler du « commerce muet » pratiqué entre Africains, pourvoyeurs d’or, et Phéniciens d’Afrique du Nord, offrant en échange le sel du désert. Ces circuits furent, avant les « grandes découvertes » européennes, les principales sources d’or mondiales. Ce métal était issu des mines du haut Sénégal et de la « côte de l’Or » la bien nommée, et au sud, du Zimbabwe. Ces deux pôles d’extraction approvisionnèrent en métal précieux le monde méditerranéen occidental comme celui de l’océan Indien.
L’or explique la grandeur des empires qui en contrôlaient le commerce : ainsi ceux qui se sont succédé le long des fleuves Sénégal et Niger, au débouché des pistes transsahariennes, du XIe au XVIe siècle : Ghana, Mali, Songhaï (ce dernier conquis par les Marocains qui pillèrent Tombouctou en 1591). On peut alléguer sans trop d’exagération que si Marco Polo, au XIIIe siècle, a pu monter une expédition jusqu’en Chine, c’est grâce à l’or africain transmis par les Arabes.
Mais les Africains l’ignoraient, eux pour qui une barre de sel avait autant de valeur qu’un lingot d’or : la végétation naturelle de leur subcontinent ne leur fournissait pas ce produit indispensable à la vie humaine. Certes, ils ont connu des empires dont les souverains tiraient leur richesse et leur pouvoir de leur rôle incontournable d’intermédiaires du commerce à longue distance. Ils en monopolisaient les échanges : or contre sel ou contre porcelaines et soieries, mais aussi sel contre fer (nécessaire à la fabrication de l’outil agricole de base, la houe, sorte de bêche à la lame recourbée fixée au bout d’un manche en bois), cuivre des empires Luba ou Lunda d’Afrique centrale. Mais la vie rurale produisait peu de surplus agricoles, compte tenu de terres dans l’ensemble peu fertiles, tantôt durcies par les sécheresses tropicales, tantôt lessivées et appauvries par les pluies de ruissellement de forêts équatoriales. À cela s’ajoutait une organisation sociale et culturelle fondée essentiellement sur la subsistance et sur le consensus.
Toutes les formes politiques ont cohabité dans cet immense continent, grand comme trois fois les États-Unis. Même dans les empires les plus hiérarchisés, l’organisation restait fondée sur les liens dits lignagers, reposant sur des échanges matrimoniaux complexes de famille à famille qui régulaient les relations sociales et politiques (ce que les ethnologues coloniaux ont appelé des ethnies). Dans un tel système, les femmes représentaient surtout des outils de labeur, appréciés aussi pour leur promesse d’enfants. Éleveurs dans les zones de sahel à très longue saison sèche, cultivateurs ailleurs, les Africains étaient organisés pour la subsistance plutôt que pour le profit, monopolisé et thésaurisé par quelques grands chefs.