Née au XIXe siècle dans une perspective médicale et naturaliste, la criminologie a d’abord été une science de l’homme criminel. Focalisée sur l’horreur suscitée par certains crimes, obnubilée par la lutte contre la récidive, elle a été tentée d’appréhender le phénomène criminel dans une lecture pathologisante dont on peut retrouver trace de nos jours.
Bosse du crime et criminel-né
Si l’idée d’une prédisposition au crime trouve ses origines dans l’Ancien Régime, elle est longtemps restée limitée en droit par le principe du libre arbitre. L’homme étant libre de commettre le bien ou le mal, c’est sur le principe de cette liberté que la théologie morale légitime a acquis le droit de punir celui qui commet une faute. La laïcisation du droit pénal sous la Révolution française ne modifie pas fondamentalement cette perception de l’homme criminel, et la doctrine du libre arbitre sous-tend le code pénal de 1810. Au même moment pourtant, une nouvelle théorie médicale défend le principe de l’innéité des comportements. Cette théorie, imaginée par le médecin François-Joseph Gall (1758-1828), repose sur le principe alors contesté que le cerveau est le siège de la pensée, et que celui-ci est décomposable en aires fonctionnelles bien délimitées. Le postulat est simple : lorsqu’une aire cérébrale fonctionnelle est très développée, elle tend à être repérable par une protubérance à la surface du crâne. Inversement, le défaut de l’organe produit un méplat. En tâtant les crânes de musiciens, de peintres, de mathématiciens, de fous et de criminels, les phrénologistes dressent une cartographie d’une trentaine de talents, de goûts et de facultés comprenant des catégories aussi variées que le penchant à l’amour physique, l’organe de la musique, l’organe de la propriété ou la faculté de la comparaison.
L’enjeu de cette connaissance de l’homme est scientifique, social et politique. Sa phrénologie offre en effet une théorie générale des comportements, mais aussi l’examen diagnostic qu’est la cranioscopie : une simple palpation du crâne permettant de déceler les aptitudes et les penchants profonds de chaque individu, il devient possible d’imaginer l’organisation scientifique d’une société rationnelle qui tiendrait compte de la « variété infinie du caractère moral et intellectuel des hommes ». Dans cette infinie variété, F.‑J. Gall s’intéresse plus particulièrement aux génies, aux aliénés et aux criminels qu’il rencontre dans les salons, les asiles et les prisons.
Mais ses vues sur le passage à l’acte des criminels font scandale. F.‑J. Gall pense en effet qu’il existe un penchant inclinant au meurtre, commun aux animaux carnassiers et à certaines figures historiques connues pour leur penchant sanguinaire : Caligula, Néron, Scylla, Septime-Sévère, Charles IX, Richard Cœur de Lion, Philippe II d’Espagne, Marie I d’Angleterre, Catherine de Médicis, Ravaillac, Napoléon. Le vol est quant à lui rattaché à l’instinct de la propriété. S’appuyant sur des observations de défense opiniâtre du territoire chez les animaux, la phrénologie pose que la propriété est « une institution de nature » matérialisée par une localisation cérébrale précise, placée au-dessus de l’oreille. L’organe de cet instinct doit toutefois s’exercer dans les limites de la normalité, et donc de la moralité, car c’est « le sentiment de la propriété ou le penchant à faire des provisions qui est la qualité fondamentale à laquelle se rattache le penchant au vol ». Un sujet possédant un organe de la propriété anormalement développé sera irrésistiblement poussé à commettre des vols. Le voleur classique par intérêt se métamorphose en passant dans le registre pathologique : il devient voleur sans profit, un « kleptomane ».