En 1951, le philosophe Jean Guitton (1901-1999) publiait Le Travail intellectuel, un petit livre dans lequel il prodigue ses conseils, simples et directs, à « ceux qui étudient et à ceux qui écrivent ».
Tout commence par un curieux hymne au dépouillement intellectuel. L’auteur raconte que durant la Seconde Guerre mondiale, qu’il a passée prisonnier dans un camp, il fut longtemps privé de livres. Or, loin d’être un handicap, ce fut pour lui un avantage ! Quand on est entouré de trop de livres ou de journaux, on se disperse, alors qu’une certaine frugalité intellectuelle a ses vertus : « Notre civilisation sursaturée de connaissances et de moyens de savoir offre tant de masques et de faux appuis que l’homme ne sait plus ce qu’il sait et ce qu’il ignore. » Cet hymne à une simplicité volontaire appliquée au domaine de l’esprit a de quoi surprendre de la part d’un homme de culture et auteur prolixe. Mais elle sonne étonnamment juste à une époque de surabondance informationnelle. « Trop d’information tue l’information », dit-on : J. Guitton anticipe et soutient après Montaigne qu’une tête trop pleine finit par obscurcir la pensée.
Un peu plus loin, J. Guitton prend un autre chemin inattendu : il suggère de regarder travailler les autres – ouvriers, artisans, artistes ou militaires. Chaque profession a développé des aptitudes propres susceptibles d’être utiles dans un domaine de l’esprit. Ainsi l’« homme de guerre » doit livrer bataille, combattre, se préparer à la souffrance et même au pire ; il doit s’entraîner, préparer ses plans de bataille avec méthode, mais doit aussi intégrer l’inattendu. Mais l’alliance d’un entraînement rigoureux et l’acceptation de l’imprévu ne devrait-elle pas autant valoir pour le monde de l’esprit que pour l’art du combat ?