Combien pèse une âme ?
Le poids de l’âme ? Vingt et un grammes exactement. C’est en tout cas la mesure obtenue par le médecin américain Duncan McDougall au terme d’une série d’expériences qui fit les gros titres du New York Times. Cela se passait en mars 1907. Pour parvenir à son résultat, ce médecin avait pesé six de ses patients mourants, juste avant et après leur mort. Vingt et un grammes : voilà la différence obtenue par la balance. Et pour confirmer son hypothèse, le médecin n’hésita pas à tuer une quinzaine de chiens par empoisonnement. Après vérification, aucune perte de poids ne fut décelée chez l’animal. D. McDougall tenait sa preuve : 1) les humains avaient une âme ; 2) Les animaux non ; 3) cette âme n’était pas immatérielle, puisqu’elle pesait tout de même vingt et un grammes.
Comme toujours en science, quelques esprits sceptiques contestèrent les résultats. On reprocha au professeur une méthodologie défaillante, l’absence de contrôle de ses données, quelques traficotages dans les calculs. Mais qu’importe, la nouvelle avait fait le tour du monde et elle devint bientôt un fait établi. André Maurois en fit un roman (Le Peseur d’âmes, 1931). La légende se propagea jusqu’à nos jours. Pendant longtemps, on allait encore entendre que l’« on perd vingt et un grammes au moment de la mort », sans trop savoir d’où ce chiffre pouvait venir (1).
Il paraît vain de vouloir contredire l’existence de l’âme à ceux qui y croient. Et inversement, convaincre de son existence ceux qui n’y croient pas. Une chose est sûre : à l’heure d’Internet et des nanotechnologies, la croyance dans l’existence de l’âme est loin d’avoir disparu. Si on entend par « âme » l’existence d’une entité spirituelle détachée du corps et qui lui survit sous une forme ou une autre, alors 60 % des Français acceptent cette hypothèse, ce chiffre ne connaissant pas de baisse significative.
Évidemment, l’imprécision du terme joue en faveur de son succès. Si l’on élargit la définition de l’âme à « l’esprit » (opposé au corps), ou plus généralement à une sorte de force vitale qui anime les êtres vivants et leur donne vie, elle apparaît alors sous de multiples formes dans nos sociétés. Et pas simplement chez les croyants. Pour la neurologue Laura Bossi, auteure d’une Histoire naturelle de l’âme (Puf, 2003), la question de l’âme hante encore les débats de bioéthique autour de la mort ou de la naissance (à partir de quand un être humain est-il conscient ?). Les scientifiques voudraient se débarrasser de la notion mais y reviennent sans cesse. Philippe Lazar, scientifique, polytechnicien et athée radical, en vient à écrire un Court traité de l’âme (Fayard, 2008) où il défend l’existence d’une « âme matérielle » nécessaire pour penser la notion de personne et les relations qu’elle noue avec les autres. Depuis des lustres, les philosophes débattent quant à eux du problème corps/esprit ; ils tentent de respecter la spécificité des phénomènes mentaux tout en essayant d’échapper à la fois au réductionnisme neurobiologique et à l’hypothèse dualiste d’un esprit sans corps.
Même sous sa forme la plus banale – une entité spirituelle, immortelle, vivant quelque part dans les limbes –, l’âme n’a pas complètement disparu des sociétés modernes. Début 2009 est reparu le livre Seth parle. L’éternelle validité de l’âme (2), dont l’auteur serait une « âme errante » – nommée Seth. Elle aurait transmis ses idées à la médium américaine Jane Roberts qui en aurait recopié les propos. L’ouvrage, paraît-il, a été vendu à sept millions d’exemplaires et traduit dans dix-sept langues. S’il fallait mesurer la présence de l’âme dans nos esprits contemporains à l’aune des tirages et des ventes de livres, nul doute que l’âme se porte encore très bien (voir encadré).
Notes :
(1) 21 Grammes est aussi le titre d’un film du Mexicain Alejandro González Inárritu sorti en 2003.
(2) Jane Roberts, Seth parle. L’éternelle validité de l’âme, Mama Éditions, 2009.
L’âme : de quoi parle-t-on ?
Inutile de chercher pour l’âme une définition précise, canonique et définitive. L’âme se révèle par nature un concept vague, flou et changeant selon les époques et traditions de pensée. Cette imprécision représente sans doute l’une des raisons de son succès. Notion attrape-tout, elle peut satisfaire sans peine à des attentes de toutes sortes : du new age à la religion, des spéculations philosophiques à la croyance aux fantômes. Pour autant, cela ne signifie pas qu’elle totalement instable, inconsistante et indéfinissable.