L'extase totale

L’Extase totale
Le IIIe Reich, les Allemands et la drogue
Norman Ohler, La Découverte, 2016, 256 p., 21 €.

Alcool, opiacés, cocaïne : les stimulants au combat ne sont pas une invention allemande. Mais le recours aux drogues des troupes du IIIe Reich a marqué l’usage militaire. Et son chef suprême n’était pas en reste.

Adversaire déclaré du cosmopolitisme, de la décadence imputée à la République de Weimar, de l’affaiblissement de la « race germanique », le nazisme se devait de professer un rejet pur et simple des stupéfiants et autres produits addictifs. Le livre de Norman Ohler lève le voile sur une réalité différente, et plus extravagante qu’on le soupçonnait.

À la veille de la guerre, l’Allemagne possède un grand savoir-faire en matière de chimie. Le pays est dans les années 1920 le principal exportateur d’héroïne et les entreprises allemandes contrôlent 80 % du marché mondial de la cocaïne. Leurs usages sont mal contrôlés. Ces produits sont très en vogue dans le Berlin de l’entre-deux-guerres. Mais le nazisme prétend faire le ménage. Son chef, Hitler, se veut un parangon de santé : végétarien et travailleur, ne fumant ni ne buvant. Il est la figure de proue de la Gesundheitsführung (gouvernance sanitaire). Arrivé au pouvoir en 1933, il proclame le « devoir de bonne santé ». Les publicités pour l’alcool et les cigarettes se raréfient. En 1935, la « loi de santé conjugale » assimile les toxicomanes à des « personnalités psychopathes » incurables et leur refuse le mariage. Pendant ce temps, en prévision d’éventuelles pénuries de matières premières, l’industrie met l’accent sur la recherche de produits de synthèse. On pourchasse les stupéfiants, mais on fabrique des fortifiants. À l’automne 1937, un nouveau procédé de synthèse de la méthamphétamine est mis au point. Le psychostimulant reçoit le nom de Pervitine. N. Ohler en décrit les effets : « Commence une sorte de feu d’artifice neuronal, comme si un fusil-mitrailleur tirait sans arrêt des rafales d’idées. Tout à coup, le consommateur se sent parfaitement réveillé et a l’impression d’un regain d’énergie. Ses sens sont affûtés, il a le sentiment d’être plus vivant, électrisé jusqu’au bout des doigts. (…) C’est un coup de fouet artificiel. » Et l’effet dure plus de douze heures.