La différence est-elle un handicap ?

Pour les partisans de la « neurodiversité », l’autisme devrait être vu comme une autre forme d’intelligence, une façon spécifique de penser ou de voir le monde… Un discours parfois accusé de nier le caractère invalidant de ce trouble.

Faites-vous partie d’une « neurotribu » ? C’est la thèse défendue par le journaliste américain Steve Silberman dans un ouvrage de vulgarisation paru début avril 1. Pour lui, la frontière entre le normal et le pathologique est illusoire. L’autisme n’est pas une maladie qu’il faudrait soigner. C’est un profil neurobiologique parmi d’autres, comme la dyslexie, l’hyperactivité ou même… la neurotypie – forme neurobiologique dite « normale » ou « majoritaire » ! Toutes ont été préservées au fil de l’évolution humaine parce qu’elles présentent des avantages, estime S. Silberman.

Écarts à la norme

S’inspirant des travaux du neurologue Oliver Sacks 2, il souligne les contributions à l’aventure humaine de génies diagnostiqués rétrospectivement comme autistes : le physicien Henry Cavendish, le mathématicien Paul Dirac ou encore le romancier de science-fiction Hugo Gernsback. Mais une intelligence exceptionnelle ne doit pas tout justifier, insiste S. Silberman : beaucoup de personnes autistes mènent une vie simple et sans éclat ; elles sont heureuses, parfois même autonomes, et ne souffrent pas, si ce n’est du regard des autres et d’un environnement social inadapté. Nos sociétés gagneraient à les soutenir sans chercher à les guérir, conclut-il, à mieux les accepter sans les réduire au statut de « handicapés ».

Peu connu en France, ce « plaidoyer pour la neurodiversité » a été un best-seller aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon depuis sa sortie en 2015, démocratisant un concept jusque-là restreint à des cercles militants. Le mot « neurodiversité » est apparu entre 1996 et 1998 sous la plume de Judy Singer, dans un travail de thèse sur la sociologie du handicap 3. Cette recherche était en partie autobiographique : avant de reprendre des études, J. Singer fit face à des troubles du comportement chez sa fille, qu’elle avait déjà observés chez sa mère. Elle s’inscrivit à l’université pour mieux comprendre ce qui arrivait à sa famille et commença à étudier les « disability studies », un champ de recherche dédié au handicap. Selon les sociologues des sciences Brigitte Chamak et Béatrice Bonniau 4, ce courant de pensée « dénonce la médicalisation du handicap et insiste sur la dimension sociale de la stigmatisation » ; il exerça « une influence majeure sur Judy Singer » et lui fournit « les bases historiques et théoriques pour mieux comprendre sa propre expérience ». J. Singer déduisit de son travail que sa fille, sa mère et elle-même relevaient probablement du spectre autistique ; mais elle réinterpréta cette situation comme une simple différence par rapport à la norme et non comme un handicap.