Loin est le temps où surgissait des chaînes de Citroën la DS 19, vite élevée au rang de divinité automobile avec son long capot, sa carrosserie rutilante et sa ligne racée. En ces jours d’octobre 1955, comme l’écrivait Roland Barthes, l’automobile était « l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique (1) ».
Au milieu des années 1950, R. Barthes envoie chaque mois à Maurice Nadeau un article pour Les Lettres nouvelles. Il y poursuit un travail de décapage des mythes contemporains, une critique idéologique de la culture de masse et de la société de consommation. S’en prenant aux mythes construits par la publicité, il stigmatise dans ces leurres ce qu’il qualifie d’idéologie petite-bourgeoise. Sous son regard critique, R. Barthes veut déstabiliser les fausses évidences et espère faire craquer les masques. Il s’en prend tour à tour à l’étude du catch, à l’opération Astra, au visage de Greta Garbo, au steak frites, au Guide bleu, à la littérature selon Minou Drouet. Dans cette série des mythologies contemporaines, le mythe automobile porté à son paroxysme est pour lui la « Déesse » 19. Objet d’un exceptionnel succès commercial, elle devient l’icône de la voiture idéale, très vite adoptée par les classes supérieures, les PDG, les stars, et les élus de la République. En 1958, le général de Gaulle fait de la DS 19 le véhicule présidentiel.