La grande saga du bonheur

Nostalgie de l’âge d’or, espoir de paradis, utopies diverses 
ou aspirations plus matérialistes… Depuis la nuit des temps, 
les êtres humains se forgent des représentations du bonheur. 
Un bonheur imaginé en fonction des valeurs de l’époque et, aujourd’hui, des choix de chacun.

1 - Le mythe de l’âge d’or

Autrefois, il y a très longtemps, le bonheur régnait sur la Terre ! C’était l’âge d’or où l’on ignorait la souffrance et la pénurie. Les humains connaissaient une jeunesse éternelle. Une nature harmonieuse leur offrait généreusement toutes les nourritures, dans les fleuves coulaient le nectar, le lait et le miel. Chez les Grecs, ce paradis est décrit pour la première fois par Hésiode au VIIIe siècle avant notre ère (Les Travaux et les Jours). L’âge d’or grec, c’est celui où les humains vivaient aux côtés des dieux et en harmonie avec eux, un âge de la plénitude où il n’y avait rien à craindre ni d’ailleurs à espérer… Jusqu’à la colère de Zeus, qui exclut les humains du royaume des dieux en leur concoctant un piège diabolique. Celui-ci prit la forme de la belle Pandore avec sa boîte redoutable contenant tous les maux, qui allaient bientôt se répandre sur la Terre…

Le mythe de l’âge d’or est universel. De la Mésopotamie à l’Inde (avec l’épopée de Gilgamesh), des terres d’Islande à l’Amérique précolombienne, il se retrouve dans toutes les civilisations.

« Il n’y avait pas de serpents, il n’y avait pas de scorpions, il n’y avait pas d’hyènes, pas de loups, pas de peur, pas de terreur, l’homme n’avait pas de rival », dit une tablette sumérienne datant de 4 000 ans avant notre ère. Car chaque peuple y reflète ses aspirations particulières : verdure et fraîcheur pour ceux du désert, soleil et chaleur pour ceux des régions nordiques. Mais partout et pour tous, toujours paix, santé et bonheur.

Au XVIe siècle, la découverte de l’Amérique ravive le mythe. La voici enfin, cette terre idyllique où vivent des « Indiens » au caractère pacifique, dans une nature généreuse qui leur assure une vie sans souci, « sans lois, sans querelles, sans juges…, sans craindre les événements à venir… » Cette représentation de Pierre Marty, chroniqueur italien, emporte l’enthousiasme (plus de 500 ouvrages tout au long du XVIIe siècle paraissent sur le sujet), même si des intellectuels comme Thomas Hobbes, pour qui, rappelons-le, l’homme est un loup pour l’homme, ne voient dans cette représentation des « bons sauvages » qu’un fantasme des plus erronés.

publicité

Pourtant, le rêve ressurgit à nouveau avec l’exploration du Pacifique. Après un court séjour à Tahiti, le navigateur Louis-Antoine de Bougainville livre une description de « cette île fortunée » : « La nature l’a embellie des plus riants aspects, enrichie de tous ses dons… Un peuple composé de beaux hommes et de jolies femmes… Ils forment la plus heureuse société qui existe sur ce globe » (Voyage autour du monde, 1772).

Au XXe siècle, lorsque l’ethnologue Margaret Mead étudie les peuples de Nouvelle-Guinée, elle constate que le mythe d’un âge d’or y est aussi bien présent, se caractérisant notamment par un âge sans tabou sexuel.

Simplicité, communauté des biens, liberté, égalité et amour libre, les recettes de l’âge d’or n’ont que peu varié au fil de l’histoire. Le grand anthropologue Claude Lévi-Strauss le voyait, lui, non seulement comme un mythe universel, mais comme un ordre qui avait bel et bien existé. Selon lui, il se situait à l’origine de toutes les sociétés, mais ne reviendrait jamais (Anthropologie structurale, 1958).

Réel ou non, l’âge d’or évoque un passé mythifié, la nostalgie d’un paradis perdu. Seuls les utopistes le projetteront dans l’avenir. Finalement, ce sera le travail de toutes les religions et philosophies d’expliquer comment et pourquoi l’homme a perdu ce bonheur parfait, et comment il peut le retrouver.

2 - À la recherche du paradis terrestre

Au Moyen Âge, le christianisme règne sur l’Occident. Pendant dix longs siècles, la honte du péché originel imprègne les esprits : la vie terrestre devient une vallée de larmes et la promesse du paradis est repoussée dans l’au-delà. Plus on souffrira sur Terre, plus on aura de chances d’accéder à ce bonheur futur, est-il dit dans la Bible. Pour les plus méritants tout au moins, car les pécheurs connaîtront les supplices infinis de l’Enfer !

« La vie ne sera vraiment heureuse que si elle est éternelle », affirme saint Augustin (La Cité de Dieu, 413-426). Et Thomas d’Aquin le confirme, le bonheur parfait est totalement inaccessible en cette vie.

Mais les humains n’étouffent pas aussi facilement les espoirs de bonheur. L’historien Jean Delumeau montre combien la représentation du paradis des croyants est proche de l’âge d’or des païens. Et si le paradis terrestre a bien existé (avant qu’Adam et Ève commettent l’irréparable péché qui leur vaut d’être chassés du jardin d’Éden), il doit bien se trouver quelque part ! Des textes apocryphes le décrivent comme une antichambre du paradis céleste, réservée aux justes en attendant le jugement dernier. Mais où se situe-t-il ?