La moitié oubliée de hommes

En 1791, la Déclaration des droits de la femme par Olympe de Gouges dénonce la fausse universalité de l’horizon humaniste des Lumières. Mais près de deux siècles seront encore nécessaires pour, dans les lois au moins, mettre fin à cette injustice.

En pleine Révolution française, Olympe de Gouges (1748-1793) est la première femme à avoir tenté d’inscrire dans la loi l’égalité des hommes et des femmes. Publiant La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne le 14 septembre 1791, elle décline en dix-sept articles les conséquences du fait que, écrit-elle, « la femme naît libre et égale en droits » (article 1). Le texte n’est pas pour autant une copie au féminin de la Déclaration de l’homme et du citoyen adoptée en 1789. Il vient mettre en évidence la contradiction sur laquelle celle-ci repose. La revendication d’égalité des droits propres aux Lumières se constitue, en effet, sur le postulat d’une inégalité des sexes qui en est la contrepartie et le revers : « S’il n’y a de différences que de sexe, alors il n’y en a pas de sang. l’idée d’une incommensurabilité biologique entre l’homme et la femme qui s’impose à partir des années 1760 est aussi une machine de guerre contre les inégalités fondées sur la naissance. En ce sens, l’égalité entre les hommes et l’altérité fondamentale des sexes apparaissent ainsi comme les deux versants complémentaires et contradictoires du naturalisme des Lumières » (La Confusion des sexes, Sylvie Steinberg, 2001).

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne conteste la fausse universalité de l’horizon humaniste des Lumières. Sa subversion n’est pas simplement politique, elle est philosophique et oblige à repenser les principes fondateurs de la Révolution, dont celui de liberté. Pour Olympe de Gouges, en effet, la liberté n’est pas affaire de limite, comme il est écrit dans La Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » C’est aussi une affaire de justice et de recouvrement de droits : « La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui » (article 4). Ainsi, écrit-elle : « Cette Révolution ne s’opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort et des droits qu’elles ont perdu dans la société. » Comment concevoir en effet que l’égalité règne si l’homme peut se conduire en despote ?