La naissance d'une société du confort

Thé, café, pain blanc, étoffes…, le 18e siècle européen a vu apparaître de nouvelles pratiques de consommation populaire.

Riches ou pauvres, nous sommes tous des consommateurs. Adam Smith lui-même l’affirme dans La Richesse des nations (1776) : « La consommation est la seule fin et la seule raison d’être de toute production. » Mais, si la consommation est universelle et aussi vieille que l’humanité, à quel moment peut-on dire que le consommateur moderne fait son apparition dans l’histoire ?

Selon les économistes, le consommateur moderne serait apparu en même temps que la production moderne. Lorsque la technologie, les institutions, le commerce et l’empire ont convergé pour enclencher la révolution industrielle, le nouveau monde des marchandises a accouché du consommateur. La loi de Say, selon laquelle l’offre crée sa propre demande traduit d’ailleurs le penchant naturel des économistes lorsqu’ils veulent expliquer l’avènement de la société de consommation.

Quant aux historiens, ils prétendent avoir repéré une « révolution de la consommation » à de multiples moments de l’histoire : les uns la situent à la Renaissance, les autres pendant les décennies postérieures à la Seconde Guerre mondiale. Qu’en est-il en définitive ?

Le luxe, ennemi de la vertu

La transition essentielle vers la consommation moderne est survenue au 18e siècle, avec la naissance de l’économie politique (Adam Smith), lorsqu’on a cessé de considérer que le désir universel pour le confort et le plaisir était nécessairement un danger pour la morale individuelle, pour l’intégrité de l’État ou de la société. Tant les traditions anciennes que la tradition chrétienne considéraient la poursuite du « luxe » comme l’ennemi de la vertu. Non seulement une telle quête était presque toujours entachée d’un hédonisme coupable, mais encore ses conséquences néfastes pour la morale individuelle n’étaient pas compensées par un quelconque bénéfice économique pour la collectivité, la consommation de produits de luxe prenant souvent la forme de services domestiques ou de coûteuses importations exotiques. La quête du confort et du plaisir hédoniste apparaissait en outre d’autant plus vaine que, pour la plupart des gens, il existe un point de satiété au-delà duquel le confort finit par ennuyer et où l’on ne ressent plus de plaisir physique additionnel.