Il était une fois une princesse très intelligente qui voulait tout comprendre. Elle entretenait une correspondance avec un des grands philosophes de son temps.
La princesse s’appelait Élisabeth de Bohême (1618-1680). Et le philosophe n’était autre que Descartes (1596-1650).
Élisabeth avait été émerveillée par le système de Descartes. Le monde, expliquait-il, est régi par des lois physiques. Pour rendre compte du mouvement des astres, nul besoin de faire appel à une intervention divine : Dieu est un grand horloger qui crée l’univers selon des lois impérieuses que les lois mathématiques peuvent dévoiler. L’arc-en-ciel est un phénomène physique explicable par des lois de l’optique et non comme un miracle. Le corps est comme celui des animaux, une machine hydraulique, fait d’une armature d’os et de chair reliés par des câbles, des tubes où circulent différents fluides.
Les êtres humains ont un corps qui fonctionne selon les mêmes principes que celui des animaux. En revanche, ils possèdent quelque chose de plus : un esprit ; cette « substance pensante », immatérielle, qui nous donne la faculté de penser. Les humains sont donc composés de deux natures : une nature matérielle (le corps) et une nature pensante (l’esprit). Descartes suppose que la jonction entre le corps et l’esprit s’opère au niveau de la glande pinéale, une petite structure nichée au cœur du cerveau.
Élisabeth était séduite par cette belle théorie. Mais une question la chiffonnait. En mai 1643, elle prend donc sa plume pour interroger Descartes sur une contradiction apparente. Si, écrit-elle, pour réaliser une action volontaire (écrire une lettre par exemple) son esprit agit sur son corps (pour prendre la plume), cela revient à introduire une causalité extérieure (l’esprit) dans le fonctionnement mécanique du corps. Or, cette intervention extérieure dans le monde physique revient à violer le principe cartésien selon lequel un corps ne peut être mu que par un autre corps. Une intervention de l’esprit dans le monde des corps matériels revient à réintroduire les miracles que Descartes a répudié dans sa théorie du monde.
Sans le vouloir, É. de Bohême vient de mettre le doigt sur un énorme problème. Descartes aura du mal à apporter une réponse convaincante. La conception dualiste de Descartes comportait une faille apparente qui allait déclencher un débat philosophique de plusieurs siècles le problème corps-esprit sur lequel les philosophes continuent de s’affronter.
Le « problème corps-esprit » (ou « mind body problem »)
Le problème corps-esprit trouve sa source dans une question posée par É. de Bohême à Descartes à propos du dualisme : comment un esprit peut agir sur une corps matériel sans violer les principes de la physique ? Ce problème est la source de nombreux développements philosophiques ; il porte non seulement sur la causalité (esprit-corps) mais aussi sur la nature de la conscience et sa fonction.
Déjà débattu en leur temps par Malebranche ou Leibniz, le problème a été relancé récemment en philosophie de l’esprit en lien avec l’essor des ordinateurs, des neurosciences ou de la physique quantique.
De nombreux philosophes contemporains ont apporté des contributions au débat (H. Putnam, D. Davidson, P. Churchland, J. Searle, J. Fodor, D. Dennett, D. Chalmers, T. Nagel, G. Strawson, etc.). Ils se partagent en différents courants de pensée : éliminativistes, physicalistes, fonctionnalistes, émergentistes, occasionnalistes et autres tenants du panpsychisme.
En France, François Loth propose une nouvelle solution appuyée sur l’idée de tropes.
Loth F., Le Corps et l’Esprit. Essai sur la causalité mentale, Vrin, 2013. https://www.francoisloth.com