Le boom de l'économie comportementale

Depuis les années 1950, des psychologues économistes se penchent sur la manière dont nous prenons nos décisions. Cette économie comportementale remet en cause la théorie de la rationalité individuelle.

Les consommateurs utilisent-ils rationnellement leur budget ? Les entreprises maximisent-elles leurs profits ? Si les économistes postulent la rationalité des agents qu’ils étudient, ce n’est pas simplement parce qu’elle serait une bonne description des comportements économiques. C’est aussi parce que cette hypothèse est essentielle à leurs modèles. Sans rationalité, pas de « main invisible » du marché. C’est parce que les agents suivent rationnellement leur intérêt qu’ils réagissent aux variations de prix et contribuent à équilibrer les marchés. C’est parce qu’ils exploitent rationnellement toutes les possibilités offertes par le marché, que cet équilibre est un optimum social.

Dès les années 1950, des voix se sont cependant élevées pour mettre en doute les axiomes du comportement humain présupposés par les économistes. Maurice Allais, un économiste français, a posé la première pierre de l’économie comportementale en proposant un petit test à ses collègues économistes. Il voulait mettre à l’épreuve la « théorie de l’utilité espérée », autrement dit la théorie du choix rationnel appliquée à des gains ou des pertes futures. Or ses cobayes, souvent des spécialistes de la dite théorie, ont en grande majorité répondu à côté, violant les axiomes de l’utilité espérée. Si l’expérience de M. Allais a marqué les esprits, il entendait surtout glisser un caillou inconfortable dans la chaussure de ses pairs. Comme avait pu le faire aussi l’économiste britannique Edward Chamberlin dans les années 1930, en reconstituant avec ses élèves les conditions d’un marché concurrentiel, pour infirmer les prédictions de la théorie libérale. Ce fut la première expérience de laboratoire en économie.

Il revient à l’économiste Vernon Smith, prix Nobel d’économie 2002 avec Daniel Kahneman, d’avoir systématisé ce genre d’expériences en économie, d’en avoir précisé les protocoles, en adaptant les méthodes de la psychologie expérimentale. Avec lui, l’économie se rapproche d’une véritable science du comportement. Une science qui tenterait de comprendre les interactions économiques ainsi que les processus de décision, non pas en postulant des principes d’action théoriques, mais en étudiant les agissements concrets des individus (entretien ci-dessous), lorsqu’ils sont placés dans des conditions analogues à celles étudiées par les économistes.

Depuis, cette économie expérimentale s’est emparée de nombreux domaines de la théorie économique. V. Smith, creusant le sillon inauguré par E. Chamberlin, s’est attaché à vérifier qu’une économie composée d’échangistes indépendants pouvait converger vers un équilibre entre offre et demande. Les expérimentateurs ont montré que le succès de l’expérience dépendait de la procédure de marché utilisée (du type d’enchère notamment), ce qui suggère en creux le rôle des règles et des institutions dans le bon fonctionnement des économies. Mais ils ont également mis en évidence des dysfonctionnements notables, comme la formation de bulles spéculatives dans des expériences où le bien échangé est analogue à un titre financier.