Il est rare que des intellectuels fassent leur mea-culpa. Et pourtant, les décennies 1970-1980 avaient vu de grands noms de la sociologie américaine des religions faire pénitence, admettre une erreur fondamentale. Tout au long du XXe siècle, ils avaient postulé la mort de Dieu, et celui-ci réinvestissait le théâtre du monde. « Nous nous sommes trompés », reconnaissaient en substance Harvey Cox ou Peter L. Berger : la théorie de la sécularisation, à laquelle ils avaient contribué par leurs écrits, pressentait en effet que le sacré allait s’effacer de la sphère publique pour se voir relégué dans le privé. Déjouant ce pronostic, l’évangélisme protestant et le fondamentalisme musulman prenaient d’assaut les médias, le politique et l’humanitaire…
L’ère des « néo »
Sciences Humaines voit le jour au moment précis où l’ensemble des sciences sociales prend acte de ce basculement, au tout début des années 1990 : le sacré, loin de s’effacer devant la raison triomphante, opère son come-back. Publié en janvier 1991, La Revanche de Dieu du politologue Gilles Kepel analyse ce retour du religieux, autour de la résurgence de trois fondamentalismes : l’islamisme radical, en pleine expansion dans les pays musulmans ; l’évangélisme protestant conservateur en Amérique ; et le courant juif de techouvah, qui prône un retour à l’observance intégrale de la loi biblique. Trois mouvements qui partagent une volonté de retour à un passé mythifié, où les communautés étaient supposées régies par les règles d’or divines.
De son côté, la sociologue Danièle Hervieu-Léger parle de « disjonction du religieux ». Alors que les sondages des années 1990-2000 amènent de 43 à 68 % des Français à se déclarer catholiques, seuls 2 % assisteraient à la messe chaque dimanche. Au « désenchantement du monde » analysé par le père fondateur de la sociologie des religions, l’Allemand Max Weber (1864-1920), a succédé l’ère du « pèlerin » et du « converti », les figures emblématiques du religieux postmoderne tel qu’analysé par Hervieu-Léger.
Le pèlerin vagabonde de croyance en croyance, « bricole », pioche dans les différents systèmes afin de se fabriquer une religiosité propre, « à la carte ». On peut ainsi se dire chrétien tout en vivant selon les préceptes du bouddhisme. Dans le grand supermarché du croire, initié à partir des années 1960 avec le New Age, réseau parareligieux brassant une multitude d’apports (ésotérisme occidental, traditions orientales…), toutes les combinaisons ont droit de cité. Les cultes païens sont réinventés dans le néodruidisme, le néochamanisme promet une communion avec une nature redécouverte. Néobouddhisme, néohindouisme…, les religiosités orientales, réinterprétées par des gourous pour les mettre à portée de l’Occidental moyen, s’exportent dans le monde entier.