Les dirigeants nazis : des hommes ordinaires ?

Trois publications 
récentes relancent 
le débat sur la banalité du mal.

Les pires criminels de l’histoire étaient-ils des hommes ordinaires ? Cette thèse, débattue de longue date est à nouveau soulevée par trois nouvelles publications qui se penchent sur la vie privée des dirigeants nazis.

Un psychologue machiavélique

Adolf Hitler était-il vraiment fou ? C’est la question que pose le journaliste allemand Vollker Ullrich dans sa nouvelle biographie du dictateur. Selon lui, contrairement à la thèse courante, sa vie privée n’était pas une coquille vide : sa liaison avec Eva Braun était plus importante qu’on le pensait, et il rendait souvent visite à ses proches, comme son photographe personnel. Il avait en réalité choisi de se construire une image publique d’un chef tout entier dévoué à son peuple. Cette perspective change la donne. V. Ullrich qui se fonde sur des sources inexploitées, comme des mémoires de proches, y voit un acteur hors pair et un psychologue machiavélique. L’enquête menée sur son quotidien met au jour sa véritable personnalité. Celle-ci apparaît double : d’un côté, un paranoïaque et fanatique borné ; de l’autre, un rhéteur incomparable calculant ses effets dramatiques, doublé d’un manipulateur. Pour garder le pouvoir, il diluait les compétences et dédoublait les postes ; ou encore, il repérait les faiblesses de ses collaborateurs pour mieux pouvoir les abandonner par la suite.

Autre personnage clé du régime, Rüdolf Höss, sinistre commandant du camp d’Auschwitz, a-t-il été un être plus rationnel qu’on le pense ? Dans Hanns et Rudolf, le journaliste Thomas Harding compare les parcours de vie de son grand-oncle, Hanns Alexander, petit banquier juif allemand réfugié en Angleterre, et de Höss, qui fut après-guerre capturé par Hanns. L’auteur cherche à décrire la série d’événements et de choix qui amena progressivement les deux hommes à se comporter, l’un comme un justicier chasseur de nazis, l’autre comme un criminel monstrueux. Höss n’a certes pas eu une vie facile. Il s’engage dans l’armée en 1914 et cette expérience contribue à créer chez lui une sorte d’insensibilité émotionnelle. Ses deux parents décédés, il intègre d’abord les Freikorps, des unités paramilitaires ultranationalistes, puis le parti nazi. Après avoir fait de la prison pour meurtre, il vit dans une communauté « völkisch », où il adopte le point de vue antisémite partagé de tous. En 1933, il est recruté comme gardien à Dachau. Il sera ensuite nommé directeur du camp d’Auschwitz, où il imaginera l’extermination des déportés dans les chambres à gaz. Quel était le caractère de Höss ? Il se faisait un devoir d’afficher en toute situation une indifférence glaciale. L’hypothèse de T. Harding est celle de la double vie : bon père de famille d’un côté, officier SS implacable de l’autre. Le soir venu, il « oubliait », écrit T. Harding, les horreurs de la journée pour retrouver la « douceur du foyer ».