Les marchands de mieux-être

Le bonheur n’est plus seulement un chemin ni même un impératif contemporain, c’est un marché. En témoigne la prolifération de livres, 
de stages ou d’ateliers pour rendre heureux. 
Business lucratif ou symptôme d’une mutation sociétale profonde ?

Les cinq blessures qui empêchent d’être soi-même, Le Pouvoir du moment présent, J’arrête de râler, Je prends soin de mon couple, Les Onze Lois de la réussite… Si vous avez, cette année, franchi au moins une fois la porte d’une librairie, impossible de les manquer : ces livres veulent tous votre bien. Jaquette colorée, typographie ronde, quatrième de couverture où l’on vous promet de « vous aider à vivre un bonheur à deux durable », « vous guider pour retrouver l’écoute de vos sensations corporelles », ou vous « accompagner sur le chemin d’une vie plus épanouie, plus heureuse et plus sage, pour mieux traverser les hivers et les étés de notre existence »… Depuis le début des années 2000, en France, alors que les grandes maisons d’édition de littérature générale publient de moins en moins de psychanalyse, les livres de développement personnel (DP) ont pris le pouvoir dans les rayons des librairies. « C’est bien simple : en cinq ans notre rayon développement personnel a doublé de volume », témoigne un vendeur de la Fnac Saint-Lazare à Paris. Même constat dans des petites villes. Ainsi, au Supercasino d’Onzain, L’homme qui voulait être heureux de l’ex-comptable Laurent Gounelle, traduit en 25 langues, et les derniers ouvrages de Christophe André voisinent avec les best-sellers des romanciers Guillaume Musso ou Katherine Pancol.

On peut regrouper ces ouvrages de DP selon quatre tendances : celle issue des thérapies comportementales et cognitives (TCC), dont, en France, C. André s’est fait le promoteur ; une tendance axée sur la psychologie positive (Trois kifs par jour, de Florence Servan-Schreiber) ; une niche davantage centrée sur la philosophie (Éloge de la faiblesse d’Alexandre Jolien, Le Secret de Socrate de François Roustang…) ; et un quatrième pôle qui gravite autour de la spiritualité (Arnaud Desjardins, Marc de Smedt…). Paru en 1999 chez Odile Jacob et vendu à plus de 400 000 exemplaires, L’Estime de soi, le livre de C. André et François Lelord a amorcé une tendance immédiatement relayée par le journal Psychologies magazine qui, avec un tirage de 350 000 exemplaires en France et 2,5 millions de lecteurs, amorçait au même moment un changement de ligne éditoriale, en consacrant moins de place à la psychanalyse mais davantage au bien-être. À partir de la fin des années 2000, des maisons d’édition généralistes réputées qui jusqu’alors ne publiaient que des sciences humaines, ont ouvert leur catalogue à ce type d’ouvrages. Désormais, même les très sérieuses Presses universitaires de France proposent, via leur collection de « Psychoguides », une démarche interactive d’accompagnement du lecteur vers le mieux-être en trois temps : chacun est invité à « approfondir son vécu », puis à « comprendre ses troubles et leurs origines », enfin, à « construire le changement par un programme d’actions personnalisé » qui fait la part belle aux tests. Si le best-seller de la collection, Je prends soin de mon couple de Fabienne Kraemer n’a, par l’extrême simplicité des réponses proposées, pas su nous convaincre, il a d’ores et déjà séduit quelque 8 000 lecteurs. Dans la même collection, les exercices proposés par Florence Pujol dans Je mange et je suis bien empruntent à la fois aux TCC pures et dures et à la méditation de pleine conscience et sont suffisamment denses pour contenter un lectorat multiple.