Les vertus de l'égoïsme

Faire appel à l’altruisme ou à la morale ne fonctionne pas. L’utilitarisme est paradoxalement mieux armé.

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Le système consumériste prodigue un récit d’émancipation et de liberté, tout en nous incitant à changer radicalement nos pratiques. D’un côté, les entreprises sont de plus en plus tenues de mettre en œuvre une responsabilité sociale et environnementale. De l’autre, en tant que consommateurs, nous sommes supposés individuellement et collectivement responsables de la planète et de ses ressources pour les générations futures. Comme si nous étions astreints à un devoir de consommer mieux, sans qu’on sache exactement ce que cela signifie. Ces idées s’inspirent notamment du philosophe Hans Jonas, dans Le Principe responsabilité 1. D’après lui, toute technique ou pratique comportant un risque – même rare ou quasi improbable – de détruire l’humanité devrait être interdite. L'emprise technoscientifique, qui change en permanence l’homme et le monde, devrait nous conduire à une éthique nous projetant dans l'avenir et le collectif. « Fonder le bien, écrit-il, (…) cela veut dire enjamber le prétendu gouffre entre l’être et le devoir. »

Qu’il nous faille consommer moins est une évidence, que l’on puisse ou doive consommer mieux relève davantage de la morale. Or, les injonctions culpabilisantes pour mieux consommer n’ont pratiquement aucun impact sur nos comportements. Nombreux sont ceux qui ont recours au déni de responsabilité pour justifier une telle inertie. Mais la vraie raison est peut-être ailleurs : historiquement, la plupart des critiques du système consumériste sont aussi des critiques de la pensée utilitariste. Le mouvement du MAUSS (Mouvement anti utilitariste en sciences sociales), animé par le sociologue Alain Caillé, représente on ne peut mieux cette résistance contre la pensée des fondateurs de l’économie politique du 18e siècle. Selon Marcel Mauss, tout don appelle un contre-don  2, il n’y a donc pas de don gratuit. Nous voyons donc mal, de ce point de vue, comment nous pourrions être enclins à sacrifier nos modes de vie pour les générations futures. Cette idée d’un sacrifice pour des personnes que nous ne rencontrerons jamais est hypothétique voire illusoire, car il n’existe pas de sacrifice qui n’attende un retour.