Le langage, telle est la grande affaire pour Ludwig Wittgenstein. C’est ce que montre déjà le Tractatus logico-philosophicus (1921), premier et seul ouvrage publié du vivant de l’auteur. Le livre est étonnant, écrit à coup de propositions lapidaires et de formules logiques. Ambitieux, le philosophe autrichien entreprend de tracer les frontières de ce que l’on peut penser en traçant les frontières de ce que l’on peut dire. Il n’y a pas de propositions philosophiques, celles qui se disent telles sont en réalité des pseudo-propositions. Car, écrit Wittgenstein, « le but de la philosophie est la clarification logique des pensées. La philosophie n’est pas une théorie, mais une activité » (Tractatus).
Dans le Tractatus, le langage est pensé comme image de la réalité. Sur ce mode, tout nom (simple) renvoie directement à un objet (simple), une proposition élémentaire à un état de choses et une proposition complexe à un fait. La vérité ou (la fausseté) d’une proposition dépend de la vérité (ou de la fausseté) des propositions élémentaires qui la constituent. Toute proposition dotée de sens ne peut donc être que factuelle. Les propositions de la logique sont elles-mêmes du coup vides de sens. Et Wittgenstein place aussi hors du dicible l’éthique, l’esthétique, et les tentatives d’explication du monde et de son sens : n’étant pas factuelles, elles sont dépourvues de sens, elles ne peuvent que « montrer ».
Le sens dépend de l’usage
Une fois publié le Tractatus, Wittgenstein donne congé à la philosophie. En Autriche, il devient tour à tour instituteur, jardinier, architecte… avant d’être repris par ses vieux démons et de revenir à Cambridge. Il donne alors une nouvelle inflexion à sa pensée. Il abandonne l’analyse logique du langage au profit d’une approche plus descriptive de ce qu’il appelle les « jeux de langage », fictifs ou réels, comme rapporter un événement, deviner des énigmes, traduire d’une langue dans une autre, raconter une plaisanterie (voir ainsi une liste d’exemples donnée dans les Investigations philosophiques). La signification d’un mot n’est pas à chercher dans un objet qu’il représenterait et que l’on pourrait pointer du doigt, elle est déterminée par les règles de son usage. Le langage est, comme tout jeu, guidé par des règles qui déterminent ce qui fait sens ou non et il s’inscrit dans nos pratiques. Pas de théorie générale du langage, de la société ou de l’esprit humain, mais bien plutôt des remarques sur l’usage ordinaire ou possible de tel ou tel mot (par exemple « savoir », « comprendre », etc.) ou des expériences de pensée dans lesquelles les règles du jeu de langage seraient différentes.