La physique a progressé à pas de géant à partir des années 1940, quand la Seconde Guerre mondiale a poussé l’ensemble des grands pays belligérants à engager des moyens humains et financiers considérables à son service. Au début de ce troisième millénaire, ce sont les sciences du cerveau qui bénéficient des efforts financiers et logistiques des pays industrialisés et des grands consortiums privés. Comme nous le verrons, l’enjeu scientifique est de simuler sur ordinateur, dans les vingt ans à venir, le fonctionnement du cerveau ; l’enjeu technologique de le réparer et le compléter par neuroprothèses, de l’interfacer avec des machines ou d’autres cerveaux. Cette perspective, si elle se réalise, signe pour certains une rupture ontologique et biologique dans l’évolution de l’humanité qui pourrait alors entrer dans l’ère du posthumain.
Agir sur le cerveau par le comportement : enjeu, la remédiation neurocognitive
Inspirée par le Discours de la méthode (1637), dans lequel René Descartes propose de séparer le cogito et le corps, la science psychologique du 20e siècle s’est construite en dehors du cerveau, considéré comme une boîte noire guère pénétrable. L’avènement de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) dans les années 1980 a radicalement modifié ce point de vue, en permettant de corréler activité cérébrale et activité cognitive ou émotionnelle.
L’un des apports importants des études en neuroimagerie fonctionnelle est de montrer qu’une fonction mentale n’est pas localisée dans une partie restreinte du cerveau, mais met en jeu un réseau neuronal distribué sur toute une partie du cerveau. Par exemple, la lecture mobilise un vaste réseau cortical allant du cortex occipital (vision) au cortex temporal (étapes de reconnaissance des formes du mot – lettre → syllabe → mot) et accès à sa sémantique et au cortex frontal (lecture). Un dysfonctionnement sur telle ou telle partie du réseau va donc générer des troubles de lecture différents, d’où le caractère multiforme de la dyslexie. L’enjeu pour la recherche en ce domaine (comme pour les autres troubles cognitifs ou mentaux) est d’établir une cartographie neurocognitive des dysfonctionnements observés afin d’élaborer des techniques de remédiation. Ce n’est pas une mince affaire car un réseau neuronal n’est pas quelque chose de figé mais de dynamique, et les différences interindividuelles au niveau cérébral sont grandes. Cette complexité nécessite de développer une approche théorique synthétisant les nombreux cas individuels observés dans un modèle simulant le cerveau.
Agir sur le cerveau par la pensée : enjeu, le dialogue cerveau-machine
Un réseau neuronal se caractérise non seulement par les zones du cerveau mises en jeu mais également par le rythme d’activité (de décharges) des neurones concernés. Ces rythmes sont repérables par différentes techniques d’enregistrements électroencéphalographiques (EEG). Une personne disposant d’une information sur ses rythmes cérébraux peut-elle les modifier… par la pensée ? L’expérience fut tentée pour la première fois dans les années 1970 avec une patiente, Mary, qui souffrait d’épilepsie sévère réfractaire (encadré p. 42). Le neurofeedback comme approche thérapeutique est maintenant utilisé pour d’autres pathologies (addictions, troubles de l’attention, régulation émotionnelle, insomnie, etc.). Mais l’enjeu scientifique de ces prochaines années est technologique : interfacer par cette technique cerveau et machine afin de piloter des systèmes artificiels, que ce soit pour se distraire (consoles de jeux) ou améliorer sa santé, comme illustré lors de l’ouverture de la Coupe du monde de football 2014 où un jeune paraplégique muni d’un exosquelette a, par intention mentale, mis en jeu le ballon d’ouverture.