À côté de chez moi vit un véritable génie et je ne m’en étais jamais aperçu ! Il est pourtant énorme : il est plus grand que ma maison de trois étages, il pèse plus lourd qu’un camion et ses bras ont plusieurs mètres de long… Son nom est Alfred, c’est le nom dont j’ai baptisé le grand platane planté à quelques mètres de l’entrée de ma maison. Alfred a environ 150 ans et son tronc est aussi large qu’un pilier de cathédrale.
Tous les jours, je passe devant Alfred sans lui accorder beaucoup d’importance : ce qui est injuste car il nous apporte de l’ombre, abrite des dizaines d’oiseaux et se pare de teintes splendides à l’automne. Bien serviable, Alfred, qui absorbe aussi sans broncher plusieurs dizaines de kilos de CO² par an, et contribue à réduire notre empreinte carbone. Mais depuis plusieurs jours, Alfred bénéficie de ma part d’un regain d'intérêt. Car quelques scientifiques et vulgarisateurs de talent ont infiltré et décrit la vie secrète des plantes. Selon eux, les arbres mèneraient en toute discrétion une existence bien plus trépidante qu’il y paraît.
Stefano Mancuso, pionnier de la « neurobiologie végétale », va jusqu’à soutenir que les plantes, bien qu’elles n’aient ni cerveau ni système nerveux, sont « intelligentes » (L’Intelligence des plantes, 2018). Les plantes n’ont pas d’yeux ? Pourtant, elles voient. Elles n’ont pas de nez ? Cela ne les empêche pas de sentir. Pas de langue ? Elles goûtent volontiers. Sans bouche ni oreilles ? Mais elles discutent entre elles à bâtons rompus. Pas de cerveau ? Elles savent néanmoins résoudre toute une série de problèmes de survie, comme s’alimenter, se reproduire, ou encore se protéger de leur agresseur. Bref, selon le botaniste italien, elles font preuve d’« intelligence ».
Une théorie séduisante qui, en plus de changer fondamentalement notre perception du monde vivant, soulève d’inquiétantes questions : les plantes ont-elles des émotions ? Ressentent-elles du plaisir ? De la douleur ? Pour Peter Wohhlleben, ancien garde forestier et auteur du best-seller La Vie secrète des arbres (2017), cela ne fait aucun doute : « Quand on sait qu’un arbre est sensible à la douleur et a une mémoire, que des parents arbres vivent avec leurs enfants, on ne peut plus les abattre sans réfléchir ni ravager leur environnement en lançant des bulldozers à l’assaut des sous-bois. » Voyons cela de plus près.
Les végétaux sont des êtres sensibles
Dans L’Intelligence des plantes, S. Mancuso entreprend tout d’abord de montrer que les plantes sont des êtres sensibles, « capables de percevoir le monde qui les entoure ». S’ils n’ont pas d’organe visuels comme les vertébrés, les végétaux sont capables de détecter la lumière et d’orienter leurs feuilles dans sa direction. C’est d’ailleurs pour elles une question de survie : une feuille d’arbre n’est rien d’autre qu’un panneau solaire qui se « nourrit » de lumière pour synthétiser sa propre matière organique, processus connu sous le nom de photosynthèse. Le tournesol est une plante héliotrope : il ne se contente pas de recevoir de la lumière à certaines heures d’ensoleillement, il se tourne vers le soleil (« tourne-sol ») pour profiter de ses rayons tout au long de la journée.
S. Mancuso enfonce le clou : non seulement les plantes sont sensibles à la lumière, mais elles « voient » les couleurs grâce à des photorécepteurs (phytochromes, cryptochromes et phototropines) qui absorbent les rayons lumineux en fonction de leurs différentes longueurs d’onde (rouge, infrarouge, bleu et ultraviolet).
Et les odeurs ? Les plantes disposent de propriétés olfactives, c’est entendu. Les fleurs parfument l’atmosphère pour attirer les insectes pollinisateurs. Mais les végétaux auraient aussi un odorat. S. Mancuso en veut pour preuve qu’un plant de tomate, lorsqu’il est agressé par des insectes, émet des molécules odorifères qui informent les plants voisins de son agression. Et ces derniers réagissent alors en produisant une toxine répulsive. Le hêtre fait encore mieux : pour se défendre, il émet certains effluves dans le but d’attirer des insectes prédateurs, lesquels vont neutraliser son agresseur.