Où s'arrête notre corps ?

Nous avons l’impression d’être une personne unique, alors que d’autres formes de vie nous constituent. Partout dans la nature, d’étonnante symbioses remettent en question les frontières du vivant.

L’idée paraît simple : tout organisme vivant constitue un individu. Chez les vertébrés par exemple, un poisson, une girafe ou encore un humain sont considérés comme des individus. Ce sont des êtres indépendants, délimités par une surface extérieure (leur peau), composés de parties qui fonctionnent en synergie pour assurer la survie et la reproduction de l’ensemble. Ils peuvent être dénombrés : on peut déterminer s’il y a deux ou trois girafes dans un enclos. Et ils restent eux-mêmes au cours du temps ; vous êtes toujours vous-même malgré le fait que, année après année, vous vieillissiez par exemple. Cette conception de l’individualité biologique a toutefois le défaut de ne se fonder que sur celle des vertébrés, lesquels ne représentent qu’une petite partie des êtres vivants.

Chez les bactéries par exemple, la situation est déjà plus compliquée. À la différence des vertébrés, elles ont la particularité de se reproduire par division asexuée : concrètement, une bactérie se divise en deux clones. Faut-il dans ce cas considérer que les bactéries-filles sont deux nouveaux individus (quid alors de la bactérie-mère ?) ou qu’elles sont les éléments d’un ensemble de bactéries qui, dans un premier temps au moins, formeraient un même individu. Aucune des deux options n’est complètement satisfaisante. Le cas des plantes n’est pas clair non plus. Par exemple, un arbre semble constituer un individu. Pourtant, par marcottage, lorsqu’un rameau s’enracine à côté de l’arbre-mère, un nouvel arbre, clone du premier, peut apparaître. Est-on alors en présence de deux individus ou d’un seul ? De même, par bouturage, en prenant un morceau d’une plante et en l’enracinant ailleurs, on peut aussi multiplier certaines espèces, comme le géranium commun. On peut aussi greffer une plante sur une autre pour qu’elles fassent corps. Dans ce cas, plutôt que d’appréhender une plante comme un individu, ne faudrait-il pas y voir une colonie d’individus qui peuvent être séparés, se développer ailleurs, rejoindre d’autres colonies ?

L’unité, c’est le groupe ?

En outre, le phénomène de symbiose soulève d’autres questions. Une symbiose est une association, durable et réciproquement profitable, entre plusieurs organismes vivants. Par exemple, les plantes sont en symbiose avec des champignons microscopiques au niveau de leurs racines : les premières fournissent aux seconds de l’énergie sous forme de sucres, grâce à la photosynthèse, et les seconds apportent des nutriments aux premières. C’est aussi le cas des bactéries présentes dans nos intestins. Formant ce que l’on appelle la « flore intestinale », elles sont nécessaires à notre digestion, jouent un rôle dans notre système immunitaire et peuvent même influencer notre état psychologique. En tant que bactéries, elles sont distinctes de nous, tout en contribuant à définir ce que nous sommes. D’une certaine manière, nous pourrions donc dire que nous sommes, nous aussi, des colonies d’individus constituées d’un hôte (un corps de mammifère) et d’une multitude de bactéries.