Penser la guerre pour comprendre le monde

Depuis une dizaine d'années, les théories de la guerre se sont modifiées. Il s'agit de penser deux phénomènes inédits : la prolifération des conflits identitaires et la tendance à l'hégémonie de l'« empire américain ».

Dans les années 90, la chute de l'URSS, le développement d'une mondialisation économique et culturelle, la décomposition politique de nombreuses régions engendrant guerres civiles et violences communautaires (Afrique, Caucase, Yougoslavie) ont pris de court les analystes universitaires et mis à mal les postulats réalistes dominants (vision d'un monde d'Etats-nations antagonistes et de l'équilibre des puissances). Les guerres entre Etats sont de moins en moins nombreuses, et l'on a même discuté un temps de leur extinction. Dans le même temps, les conflits infraétatiques et les « nouvelles menaces » transnationales, terroristes ou criminelles, se sont développés 1.

Il s'agissait désormais d'interpréter de nouvelles questions, comme le soulignait à l'époque Ghassam Salamé, pour qui les scientifiques s'étaient « trop peu penchés sur les guerres réelles [c'est-à-dire leur déroulement concret, la souffrance des acteurs et leur motivation, etc.], les laissant dans un geste de mépris et d'ignorance, aux comparativistes et autres anthropologues » 2. Les interrogations contemporaines sur la guerre se sont centrées ces toutes dernières années sur plusieurs objets majeurs :

- l'étude de la place de l'Etat dans les conflits et des fondements de la théorie réaliste ;

- l'examen de la mise en place des institutions supraétatiques (régulations politiques régionales ou mondiales) ;

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- l'étude des menaces de type transnational (terrorisme, mafias, idéologies ou religions) ;

- les tentatives d'interprétation des décompositions/recompositions des communautés politiques lors de guerres civiles, nationalistes ou ethniques ;

- la réflexion sur l'empire, sa place dans l'histoire, dans le monde contemporain ;

- une réflexion sur la stratégie et ses fondements ;

- une réflexion surabondante et tous azimuts sur les conséquences des attentats du 11 septembre.

Appuyées sur ces travaux universitaires, plusieurs grandes voies interprétatives se sont dégagées dans les vingt dernières années et sont en compétition pour comprendre la conflictualité du monde.