Peut-on être créatif à distance ?

Plus productifs, mais moins créatifs : cette image poursuit les télétravailleurs, dont les capacités d’innovation seraient asséchées par le manque d’interactions. Et si de nouvelles méthodes de travail permettaient de changer la donne ?

Au bureau, une idée reçue veut que les moments « Eureka » surviennent entre deux frottements de touillette à la machine à café, dans les couloirs ou la file d’attente de la cantine. Dès le début de la crise sanitaire, les économistes Nicholas Bloom et Carl Benedikt Frey ont brandi le risque d’un ralentissement de l’innovation et une menace pour la croissance économique 1. 54 % des directeurs et directrices des ressources humaines français, interrogés par l’ANDRH déclaraient constater en 2020 une baisse de la créativité 2.

En cause selon les chercheurs, l’appauvrissement des discussions entre collègues. L’étude des échanges numériques de plus de 60 000 employés de Microsoft 3 lors du premier semestre 2020 révèle qu’en télétravail, les salariés communiquent davantage avec les collègues qu’ils connaissaient déjà, au détriment des autres. Le temps passé à collaborer avec des personnes extérieures à leur groupe de travail a, par exemple, baissé de 25 %. Les employés ont eu moins de contacts avec les collègues avec lesquels ils parlaient ou correspondaient déjà peu et ont créé moins de nouveaux contacts. Or ces interactions facilitent l’accès à de nouveaux types d’informations.

Autre frein à la créativité : le télétravail pousse à se concentrer « sur des tâches définies, bien délimitées dans le temps par nature moins stimulantes », pointe Marie Benedetto-Meyer, sociologue spécialiste dans le numérique au travail. Innover suppose de prendre un peu de temps et de liberté : pour réfléchir, explorer de nouvelles voies sans savoir si elles auront un intérêt, etc. « Dans une étude que j’ai réalisée récemment 4, les salariés interviewés font souvent une distinction entre les activités réalisées chez eux et au bureau. Ils planifient en télétravail plutôt des activités solitaires et nécessitant peu de créativité (rédiger un compte rendu, lire un document), et laissent au bureau davantage place à la souplesse et l’improvisation pour pouvoir échanger avec des collègues. » Le bureau apparaît aussi comme un lieu où l’on privilégie les activités stimulantes ou d’apprentissage. « Dans une start-up par exemple, des salariés qui faisaient de la prospection téléphonique ressentaient le besoin de passer leurs appels en présentiel pour pouvoir s’entraider et apprendre en écoutant leur collègue », ajoute la chercheuse.