Peut-on posséder une découverte ? Entretien avec Gabriel Galvez-Behar

Le débat sur la levée des brevets sur les vaccins contre le covid-19 s’inscrit dans l’histoire des liens entre la science et le capitalisme. Gabriel Galvez-Behar questionne la notion de désintéressement associée au travail scientifique.

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Le travail scientifique est-il désintéressé ?

C’est un mythe qui existe au moins depuis l’époque médiévale. Un adage disait à l’époque que le savoir – alors lié à la religion – était un don de Dieu qui ne pouvait pas être vendu. Cette idée est reprise au 21e siècle, dans un contexte d’institutionnalisation de la science, et donne lieu à un discours longtemps dominant. Dans les années 1980 par exemple, le commandant Cousteau fait un vibrant discours sur le désintéressement à l’Académie française, où il vient d’être élu titulaire du même fauteuil que Louis Pasteur. Il fait un portrait de ce dernier comme un « opposant à la notion de profit quand il s’agit de résultats scientifiques destinés à protéger la santé publique ». Toujours au 20e siècle, le sociologue Robert Merton fait aussi du désintéressement l’une des caractéristiques de la recherche, mais lui entendait plutôt par là une forme d’impartialité plus qu’un rejet des intérêts. Une chose est sûre, cette question traverse toute l’histoire de la science jusqu’à aujourd’hui, où les conflits d’intérêts sont devenus une préoccupation majeure – les éditeurs de revue demandent par exemple aux auteurs des déclarations de conflits potentiels, pouvant donner lieu à des rétractations de publications ou des contestations sur des travaux en cours. Certes, les modalités de l’activité scientifique au début du 21e siècle n’ont plus rien à voir avec ce qui pouvait exister il y a encore cinquante ans. La taille des communautés scientifiques a explosé. Désormais, plusieurs centaines de milliers de scientifiques travaillent en France dans le domaine de la recherche et développement, quand on était probablement sous la barre des 10 000 personnes au début du 20e siècle. Mais on a toujours tendance à idéaliser le passé.