Daniel C. Dennett est, depuis la publication en 1991 de La Conscience expliquée, l’un des auteurs les plus en vue dans le domaine de la philosophie de l’esprit. Philosophe est d’ailleurs un titre trompeur car, plus encore que beaucoup de ses collègues, D.C. Dennett évite le travail en vase clos, se méfie de l’introspection et se plonge plus volontiers dans l’actualité des neurosciences, de la psychologie expérimentale, de l’éthologie animale, enfin des sciences du vivant en général, que dans la relecture des anciens sages. Ses conférences ne vont jamais sans illustrations. Celle qu’il a donnée le 15 octobre 2010 au nouvel Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM, hôpital de la Pitié-Salpêtrière) s’ouvrait sur deux images placées côte à côte : celle d’une termitière, quelque part en Afrique, et celle de la Sagrada Familia de Barcelone. Entre ces deux édifices, l’analogie est visible. Mais, expliquait le conférencier, l’un a été modelé par des milliers de petits êtres machinaux, l’autre, par le génie d’un seul grand architecte, Antoni Gaudi. Évidemment, nous ne pouvons pas exclure l’idée que le cerveau humain soit fait, lui aussi, de millions de petits robots biologiques, les neurones. C’est même ainsi que les neurosciences nous le décrivent. L’esprit humain étant un produit de l’évolution, il doit pouvoir être expliqué de la même manière que n’importe quel autre phénomène naturel. D’un autre côté, il présente des particularités bien à lui : avant d’être édifiée, la Sagrada Familia a été calculée, dessinée, discutée et planifiée, toutes choses que ne font pas les termites, même les plus intelligents. Cette singularité représente un aspect de ce que nous, humains, appelons perception, intentionnalité, volonté, vision de l’avenir, soit autant d’aspects d’un phénomène réflexif, la conscience, qu’à la suite de bien d’autres philosophes, D.C. Dennett s’est attaché à circonscrire, soumettre à l’épreuve des connaissances scientifiques et à sa propre réflexion. Il y a vingt ans, il s’affairait surtout à montrer que le langage courant ne pouvait servir à décrire la conscience, et qu’il convenait de se tourner vers des modèles d’explication plus naturels et physiques, darwiniens par exemple. Aujourd’hui, il persiste à critiquer l’illusion introspective, mais aussi son contraire, à savoir l’élimination pure et simple du problème par sa réduction à l’activité neuronale du cerveau.
Comment, convient-il d’aborder le problème de la conscience ?
Un peu comme on aborde la magie, telle qu’elle se pratique dans les rues en Inde. Il y a des gens qui s’en vont en croyant avoir assisté à un miracle. Ils admettent que des choses surnaturelles se passent : c’est la position du dualisme cartésien, qui considérait l’« âme » comme une substance à part, d’origine divine et miraculeuse, capable de s’extraire de la matière et de la contempler. Et puis il y a un point de vue plus sensé qui consiste à se dire « il y a un truc », et ce truc produit une illusion. Je considère, quant à moi, que la conscience est une boîte pleine de tours de magie, et que quand nous connaîtrons tous ces tours, nous aurons expliqué ce qu’est la conscience. C’est plutôt démystifiant comme point de vue, ça ne plaît pas à tout le monde, mais c’est conforme à ma conviction que la conscience est un phénomène naturel qui doit être expliqué naturellement.