Rencontre avec Pierre-Noël Giraud : La mondialisation, entre émergence et fragmentation

La mondialisation économique n’est pas 
ce que l’on croit. Elle n’unifie pas le monde : 
elle le morcelle. Elle dynamise certains 
territoires et en fragmente d’autres.

Pouvez-vous d’abord définir ce que vous entendez par mondialisation et quelles en sont les grandes lignes de forces ?

En français, on utilise deux mots proches : mondialisation et globalisation. Je préfère employer celui de « globalisations » au pluriel. Ce que l’on nomme mondialisation recouvre en fait plusieurs processus combinés de globalisation. Ces processus ont été rendus possibles par deux innovations techniques majeures : Internet et le container, et par la volonté politique des États les plus riches d’ouvrir plus largement leurs frontières à la cir­culation des marchandises, des monnaies et des informations, mais pas des hommes.

Il y a d’abord la globalisation des firmes. Dans les années 1960, on parlait de firmes multinationales (FMN), mais cette notion n’est plus adaptée. Ford était une multinationale dans le sens ou elle produisait de A à Z des voitures différentes dans plusieurs continents. Le commerce international de biens manufacturés concernait alors pour l’essentiel des produits finis. Aujourd’hui, une firme globale peut faire éclater la « chaîne de valeur » d’un bien final et mettre tous les territoires en concurrence pour la localisation de ses fournisseurs et de ses propres activités, de la recherche & développement (R&D) à la commercialisation, en passant par la conception, la fabrication des composants puis le montage. C’est le cas pour nos téléphones portables par exemple. En conséquence, plus de la moitié des échanges mondiaux sont des échanges de composants, intrafirmes.

Il y a ensuite la globalisation financière, résultat de la liberté bien plus grande (totale entre pays riches) de circulation de la monnaie et des titres.

La globalisation numérique, avec Internet, a permis la globalisation des firmes et grandement facilité celle de la finance. Mais avec les réseaux sociaux et les nouveaux médias qu’elle a engendrés, elle bouleverse la vision que les gens peuvent avoir des autres et du monde, avec des conséquences économiques et politiques considérables et encore difficiles à estimer.

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Globalisation des firmes, de la finan­ce, de la communication : tout cela forme-t-il pour autant une planète unifiée ou en voit d’unification ? C’est une erreur de le croire. Car ce qui circule, ce sont des marchandises, des devises et des titres, des informations numérisées, mais beaucoup moins les emplois et les hommes. Les États restent très présents. Car un État, c’est d’abord un pouvoir de contrôle d’un territoire et de ses frontières. L’activité économique reste pour l’essentiel inscrite dans des territoires nationaux où elle est toujours orientée par les politiques publiques ; de plus, elle est toujours constituée en majeure partie d’une économie « sédentaire », non directement soumise à la compétition globale.