Se construire une identité

Les individus construisent des « formes identitaires ». Elles ne dépendent pas seulement de leur passé ou de leur origine sociale. Elles résultent aussi d'expériences vécues au travail ou en situation de formation.

Sciences Humaines : Dans vos travaux, vous mettez en évidence une pluralité de « formes identitaires » construites par les individus dans leur activité de travail, en réponse aux politiques de leur entreprise. Quel rôle joue la formation dans ces constructions/reconstructions d'identités professionnelles ? Quels sont les processus sociaux mis en jeu ?

Claude Dubar : Au cours d'une recherche collective, à la fin des années 80, dans des grandes entreprises en « modernisation » intensive, nous avons recueilli, mes collègues et moi, des entretiens approfondis de salariés de catégories diverses confrontés à cette modernisation et sollicités pour suivre des formations de toute sorte. Leurs réactions et leurs pratiques de formation étaient très différenciées, y compris au sein des mêmes collectifs de travail. Pour les comprendre, nous avons dû croiser plusieurs dimensions (rapports au travail, à l'avenir, à la formation, à l'entreprise...) et construire une typologie à partir d'une mise en cohérence de ces divers aspects de leur vie de travail. Ce sont les résultats de cette typologie que j'ai appelés « formes identitaires » parce qu'il s'agissait bien de manières de se définir, de s'identifier face aux autres, dans le champ professionnel.

Ce travail compréhensif m'a permis de mieux comprendre ce dont il s'agissait en matière de formations que les directions d'entreprise présentaient comme « innovantes ». Il s'agissait de convertir les salariés à une conception « managériale » de leur entreprise, de leur travail, de leur avenir. Seule une petite fraction des salariés adhérait, sous des modalités diverses, à cette identité d'entreprise que des formations tentaient de leur faire partager. D'autres tentaient de résister et de défendre une identité catégorielle forgée à partir de leur formation initiale et de leur spécialité professionnelle, vécue comme un métier. D'autres se montraient très critiques à l'égard de ces initiatives de rationalisation (du travail, de l'emploi, de la formation...) et développaient un discours individualiste fondé sur un projet personnel enraciné dans une identité de réseau. D'autres enfin n'étaient pas allés en formation, se sentaient exclus de ces innovations, stigmatisés comme non-compétents et craignaient de perdre leur emploi et d'être enfermés dans une « identité de hors travail ».