Sommes-nous faits pour être heureux ?

L’être humain est taraudé par une angoisse fondamentale, une inquiétude sourde et permanente qui l’empêche d’être tout à fait heureux… mais sans laquelle notre espèce n’aurait pas survécu. Le malheur, prix à payer pour survivre ?

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Les merles de mon jardin sont des animaux inquiets. Je les vois picorer le sol à la recherche de vers, de graines ou de fruits tombés. Mais tout en inspectant l’herbe, ils ne cessent de relever le bec pour regarder à droite et à gauche, attentifs à ce qui se passe autour. Au moindre bruit suspect, ils s’envolent et se réfugient sur les branches des arbres. Ils n’ont pas tort : des chats rôdent dans les parages…

À des milliers de kilomètres de là, dans la savane africaine, les antilopes broutent les herbes tout en restant sur le qui-vive. On les voit relever la tête au moindre bruit pour scruter l’horizon. Un prédateur peut toujours être caché derrière les herbes, prêt à surgir.

Cette crainte permanente ne doit pas être définie comme de la peur. La peur est une réaction intense. Elle survient quand le danger est imminent, présent, perceptible : le prédateur a été repéré, et il faut fuir. L’inquiétude courante des oiseaux ou des antilopes est un sentiment plus diffus. On pourrait parler de « préoccupation » plutôt que de peur. On pourrait même évoquer le « souci » au sens que Martin Heidegger donne à ce terme.

Pour le philosophe allemand, le « souci » (die Sorge) est cette inquiétude proprement humaine qui fait que l’esprit de l’homme ordinaire n’est jamais décontracté et tranquille ; il se tourmente à propos de tout et de toute chose : la santé, le travail, les enfants, l’avenir en général. Les oiseaux et les antilopes seraient-ils heideggériens ? Sans doute à leur façon, ils craignent des prédateurs invisibles, toujours susceptibles de surgir et de fondre sur eux. Voilà pourquoi ils sont sans cesse en état de vigilance, à l’affût d’un danger.