A votre service

Nombreux sont les salariés dont l’activité principale consiste à satisfaire les attentes d’un personnage pas toujours commode. Qu’il manifeste son impatience au guichet ou qu’il se plaigne à l’autre bout d’un combiné téléphonique, le client est de plus en plus choyé.

Un nouveau personnage a fait irruption dans l’horizon des salariés : le client. Il n’est plus l’acheteur plus ou moins passif de produits standardisés, ou l’usager sommé de se plier au règlement du service public auquel il s’adresse. Il est désormais considéré comme un individu doté de droits et d’attentes et le management invite les salariés à le prendre très au sérieux. Cette attention au client (ou à l’usager, selon qu’il s’adresse à une administration ou à une entreprise publique) constitue, depuis une vingtaine d’années, l’un des vecteurs essentiels de la modernisation des services publics. Mais elle est également au centre des mutations de l’industrie (encadré ci-dessous). Pour les salariés, cette évolution a un sens très concret : nombre d’entre eux passent le plus clair de leur temps à interagir avec des clients, que ce soit en face à face, ou par combiné téléphonique interposé. Leur nombre exact est difficile à évaluer, dans la mesure où les statistiques donnent des chiffres par secteurs, et non par postes occupés. Si l’on sait cependant que les services aux particuliers, les services d’assistance et de conseil aux entreprises et le commerce constituaient à eux seuls, en 2001, plus de 26 % de la population active, on dispose néanmoins d’un ordre de grandeur.

Ces situations de travail sont devenues si fréquentes que les chercheurs en ont fait un champ d’investigation à part entière. Ils ont redécouvert l’expression que les sociologues de l’école de Chicago (Everett Hughes et Erving Goffman par exemple) avaient forgée pour les désigner : la relation de service. Prolongeant les réflexions de ces précurseurs, l’économiste Jean Gadrey tente une définition du travail de service : il repose nécessairement sur une interaction entre le prestataire et le destinataire, de sorte que l’on peut même parler d’une « coproduction » du service entre l’un et l’autre. Ainsi, le médecin formule un diagnostic et prescrit des soins sur la base d’un dialogue avec son patient. De même, l’employé d’une agence touristique construit un séjour de vacances en interagissant avec le futur vacancier. Même dans le cas extrême d’un professeur délivrant un cours magistral, l’enseignement ne sera pas le même selon que les élèves sont attentifs ou bayent aux corneilles. La place croissante de la relation de service dans l’économie consacrerait ainsi l’avènement d’un travail cognitif et relationnel, synonyme d’un enrichissement de l’activité professionnelle et, plus encore, d’un travail porteur de sens, car fondé sur la relation à autrui.

 

Des cadences intenses

Saisir la diversité des métiers du service et les enjeux qu’ils recèlent exige néanmoins de compléter ce schéma. On peut, comme nous y invite le sociologue Jean-Pierre Durand, commencer par rajouter une personne dans cette interaction à deux joueurs : l’employeur. Dans la majorité des cas, rappelle-t-il, le prestataire de service est un salarié qui agit pour le compte d’une entreprise. Or celle-ci cherche généralement à rentabiliser son activité. Ce qui veut dire en clair accélérer les cadences, codifier la pratique pour économiser en temps ou en qualification des personnels. Bref, comme le disent les sociologues, il s’agit de « rationaliser » l’activité de service, exactement comme on le fait dans le travail industriel.