Camille Froidevaux-Metterie La nouvelle bataille de l'intime

Pour la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, les combats féministes actuels, orientés autour du corps et de la sexualité, marquent une nouvelle étape vers l’égalité entre les sexes.

Lorsqu’elle a obtenu en 2002 son poste de maîtresse de conférences en science politique à l’université ParisII, Camille Froidevaux-Metterie venait d’avoir son premier enfant. « Je donnais le sein tout en écrivant mes cours… » Cette expérience de vie a eu pour conséquence une bifurcation radicale dans son parcours de chercheuse. Après avoir travaillé une quinzaine d’années sur les rapports entre politique et religion, elle se met à s’interroger sur la condition des femmes, constatant que les études féministes ou de genre ne donnaient pas toujours de réponse à ses questions.

Comment être à la fois une femme émancipée pleinement investie dans l’univers professionnel où elle poursuit une carrière brillante, tout en étant requise par les charges liées à la vie familiale et soumise aux injonctions corporelles ? Cette dualité de la condition féminine la conduit à explorer, dans La Révolution du féminin (2015), les dimensions incarnées de la vie des femmes que sont notamment la maternité et le souci de l’apparence, ce qui lui vaut alors les critiques de certaines féministes. Par son approche phénoménologique qui souligne la spécificité de l’expérience vécue des femmes, elle fâche les « universalistes » qui refusent de faire toute distinction sur des bases genrées.

Le retour des mouvements féministes sur les enjeux corporels, visibles depuis les années 2010, la conforte pourtant dans ses convictions. Dans Un corps à soi (2021), elle approfondit son analyse tout en la nuançant : « Si le corps des femmes demeure toujours le vecteur privilégié de la domination masculine, il est aussi le vecteur possible d’un affranchissement et d’une nouvelle émancipation », affirme-t-elle. Dans ce nouvel essai très abouti, elle revisite les fondements théoriques du féminisme en s’appuyant tout à la fois sur l’actualité des mouvements contemporains, les témoignages issus de ses enquêtes, aussi bien que ses expériences personnelles. « J’écris en première personne », explique-t-elle se référant au principe des féministes des années 1970 qui partaient de la mise en partage des récits personnels pour générer une prise de conscience collective. Ce n’est rien moins qu’une perspective politique qu’elle offre ici, en ouvrant la voie à une réelle prise en compte de la corporéité des femmes.

Depuis 2017, le mouvement #MeToo a pris l’ampleur d’une déflagration mondiale qui montre, comme vous le dites dans Un corps à soi, que « la dynamique de libération initiée par le féminisme s’est arrêtée au seuil de l’intime ». #MeToo aurait-il déclenché une nouvelle étape de la révolution féministe ?

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Dans les pays occidentaux, cette séquence s’ouvre au début des années 2010, bien avant #MeToo. C’est ce que je qualifie de « bataille de l’intime » pour désigner un tournant génital et sexuel du féminisme. Une nouvelle génération de femmes se ressaisit des thématiques corporelles telles que la question des règles et des organes génitaux, du plaisir et de l’orgasme, des violences obstétricales et sexuelles, de la maternité ou du vieillissement… Une à une, ces questions sont réinvesties.