D'Ulysse aux neurosciences

Depuis l’Antiquité grecque, les humains cherchent l’origine de l’intelligence. Les représentations se sont transférées du monde des idées aux profondeurs de nos circonvolutions cérébrales.

Comment définir l’intelligence ? Une aptitude à apprendre et à manipuler des symboles ? À calculer et à résoudre des problèmes nouveaux ? À comprendre le monde et les autres ? Née au 19e siècle, la psychologie n’a jamais réussi à en donner une définition précise. C’est ainsi que l’on peut comprendre la boutade d’Alfred Binet, auteur de la première échelle de mesure de l’intelligence (qui engendrera le fameux QI) : « L’intelligence, c’est ce que mesure mon test ! »

Si l’intelligence n’a jamais trouvé de définition fixe, ce concept flou a bien une histoire.

Depuis l’Antiquité, chaque époque, chaque culture, chaque philosophe ou théoricien en a donné sa conception. Certaines interprétations trouvent d’ailleurs aujourd’hui un écho dans les découvertes récentes des neurosciences.

Philosophie : de la Métis au Logos

Depuis l’époque archaïque (8e siècle avant J.C.), il existe dans la tradition grecque une conception de l’intelligence que les anciens appellent la mètis (conseil ou ruse en grec ancien), du nom de la première épouse de Zeus, avalée par lui et qui lui donne des conseils avisés du fond de ses intestins. C’est de mètis qu’il s’agit, lorsqu’Homère, dans l’Iliade et dans l’Odyssée, raconte les ruses d’Ulysse pour venir à bout d’ennemis souvent plus forts que lui. Comme l’ont décrite avec brio Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant dans Les Ruses de l’intelligence (1989), la mètis désigne un état d’esprit fait de souplesse et de débrouillardise. Elle s’impose aussi bien dans les roueries de la rhétorique et de la politique que dans les astuces des artisans ou des navigateurs qui déjouent les tempêtes… Sorte d’intelligence rusée, « la mètis est au logos ce que le savoir-faire est au savoir » expliquent ces auteurs.

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Mais ce sont surtout les conceptions platonicienne et aristotélicienne qui marqueront la pensée occidentale. Pour les comprendre, il faut remonter au 5e siècle avant J.C., quand le philosophe présocratique Anaxagore invente le concept de « noûs » (voûç en grec ancien) qui sera traduit « intellectus » par les philosophes latins et connaîtra des développements importants jusqu’au Moyen Âge avec les Pères de l’Église. Le noûs désigne un système supérieur d’organisation du monde, une raison qui le gouverne.

Pour Platon, c’est à chacun de s’élever à la hauteur de cette intelligence suprême pour accéder à l’idée éternelle des choses. « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » était-il inscrit au fronton de son Académie. Ce philosophe entendait par là que les mathématiques faisaient entrer dans le monde des idées, en libérant de la dépendance au concret.

Pour le disciple de Socrate, l’intelligence désigne une pensée imprégnée de rigueur rationnelle, le logos sur lequel s’appuient les grands savants de la civilisation grecque tels Thalès, Pythagore, Archimède ou Euclide.