De quoi hier est-il fait ?

Le diable, le capitalisme, la beauté, la violence, le destin des civilisations…, les thèmes traités par les historiens sont souvent le reflet des préoccupations du présent. L’explosion des terrains et la pluralité des approches n’ont cependant pas estompé les questions qui relient une communauté de métier : le débat sur la vérité de l’histoire et sur ses usages n’a jamais été aussi vif.

En quoi le Moyen Âge a-t-il configuré le monde occidental (Jérôme Baschet) ? Comment le corps a-t-il été perçu au fil des époques (Georges Vigarello) ? Comment voyait-on le diable aux temps chrétiens (Robert Muchembled) ? Les passions sont-elles un moteur dans l’histoire (Marc Ferro) ? Le charisme d’Hitler peut-il expliquer la Shoah (Ian Kershaw) ? Comment prendre en compte le « point de vue des vaincus », des femmes, des colonisés, des immigrés… ?

Du monde au corps, du rôle des croyances à celui des émotions, de la personnalité d’un dictateur aux oubliés de l’histoire…, les thèmes abordés par les historiens sont devenus innombrables.

Ce sont aussi les approches qui se sont multipliées, après la domination de l’école des Annales*. Né au début du xxe siècle, le courant des Annales a profondément transformé les manières d’analyser le passé en promouvant une histoire sociale et culturelle (pour Lucien Febvre, l’histoire sociale se devait d’être culturelle), en convoquant l’ensemble des sciences sociales (démographie, économie, géographie, anthropologie, psychologie…) et, en particulier, en initiant une histoire des mentalités appuyée sur les représentations des groupes sociaux.

Le paradigme des Annales portait-il par ses vastes ambitions les germes de son éclatement, manifeste à partir des années 1980 (1) ? Sa prétention à faire une « histoire totale », à réaliser de grandes synthèses historiques qui embrasseraient les aspects politiques, culturels, sociaux et économiques (histoire de la France rurale, histoire de la France urbaine, histoire économique et sociale, histoire des Français) eut son heure de gloire mais paraît aujourd’hui dépassée. L’heure est à l’éclatement des courants historiques.

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Une histoire culturelle globale ?

• L’anthropologie historique, déjà expérimentée dans des chefs-d’œuvre pionniers comme Les Rois thaumaturges de Marc Bloch (1924) ou Montaillou, village occitan d’Emmanuel Le Roy Ladurie (1975), se déploie aujourd’hui pour comprendre la violence de guerre (article p. 66) aussi bien que la symbolique médiévale  ou les croyances populaires .

• La microhistoire est une démarche monographique centrée sur les petites gens et les individus d’importance mineure. Initiée par, entre autres, les historiens italiens Carlo Ginzburg et Giovanni Levi, elle s’illustre avec Alain Corbin lorsque celui-ci part sur les traces d’un parfait inconnu pour faire une histoire « au ras du sol » (article p. 36).

(1) F. Dosse, , 1987, rééd. La Découverte, 2005.(2) P. Poirrier (dir.), , Presses universitaires de Dijon, 2008.(3) M. Foucault, , 1969, rééd. Gallimard, coll. « Tel », 2008 ; Paul Ricœur, , Seuil, 1985 ; Michel de Certeau, , 1975, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2002.(4) M. Werner et B. Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », , vol. LVIII, n° 1, janvier 2003.(5) C. Prochasson, , Demopolis, 2008.(6) F. Hartog, , Seuil, 2003.(7) P. Blanchard et I. Veyrat-Masson (dir.), , La Découverte, 2008.(8) Liberté pour l’histoire, fondée en 2005, recueille aujourd’hui l’adhésion de 600 historiens. www.lph-asso.fr(9) Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, fondé à l’initiative de Gérard Noiriel. cvuh.free.fr