Qu'est-ce que la science politique ?

La science politique se démarque de la philosophie au 20e siècle. Son but : dissocier les valeurs des faits. Il ne s’agit plus de définir le meilleur régime politique mais d’analyser les mécanismes du pouvoir.

Illustration : un mur avec différentes affiches, certaines déchirées, symbolisant différentes idéologies politiques : de Gaulle, Lénine, les Verts, Marianne...

© Clément Quintard

Dans la République, Platon présente le meilleur régime possible comme celui de l’aristocratie : un petit groupe de magistrats-philosophes doivent gouverner la Cité en fonction de ce qu’ils estiment être le Bien et le Vrai.

Cette politique idéale a tout les contours d’un régime totalitaire. Les philosophes gouvernent ; la classe des gardiens-guerriers (la police et l’armée) fait respecter la loi ; enfin la classe des producteurs doit travailler et obéir. Et tout sera pour le mieux.

Après Platon, bien d’autres philosophes vont s’intéresser à la politique. Aristote, Bodin, Hobbes, Locke, Montesquieu, jusqu’aux contemporains Léo Strauss ou Carl Schmitt, se sont donné pour but de comprendre la nature profonde de la politique et d’analyser les types de régimes, pour déterminer in fine quel serait le meilleur.

Mais il faut attendre le début du 20e siècle pour que naisse une science politique qui se démarque de la philosophie. Son but : dissocier les valeurs des faits. Il ne s’agit plus de définir le meilleur régime politique mais d’analyser les mécanismes du pouvoir.

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Science politique ou sciences politiques

La science politique est par nature une discipline carrefour : elle s’est forgée dans le sillage des études sociologique sur les élites politiques (V. Pareto, G. Mosca) et la bureaucratie (M. Weber), de la science administrative, du droit et de la philosophie politique.

Elle s’est enrichie par la suite des études des relations internationales (ou géopolitique), de la géographie électorale de l’anthropologie politique, de la psychologie politique. Chacun de ces sous-domaines possédant son autonomie relative, on parle souvent des « sciences politiques » au pluriel.

Cette diversité des approches utilisables pour étudier les phénomènes politiques a d’ailleurs fait l’objet de débats récurrents dans les universités françaises depuis que la science politique y a été enseignée : dans les années 1970, une partie des enseignants et chercheurs souhaitant délimiter rigoureusement son périmètre et ses méthodes.

D’autres au contraire, préfèrent donner à l’étude du politique la plus grande ouverture possible, et utiliser l’ensemble des sciences humaines.

Dominique Reynié, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris s’exprime ainsi, en 1996, sur l’avenir de la science politique : « Son objet est clairement identifiable, mais elle n’en a pas le monopole. Sa méthode n’existe pas, en tant qu’elle serait capable d’une démarche originale à l’intérieur des sciences sociales. D’un point de vue historique, les disciplines les plus proches de la science politique ont été successivement la philosophie, puis le droit et enfin la sociologie. Mais il serait naïf et trop simple de confondre ce mouvement d’apparentements avec une marche vers la meilleure alliance possible. La science politique ne fera jamais de mariage heureux, parce qu’elle est fondamentalement polygame. »

Des traditions nationales aux problématiques internationales

La pluralité des sciences politiques ne tient pas qu’à ses méthodes et des traditions nationales se sont constituées depuis le 19e siècle. La plupart ont aujourd’hui rejoint les courants dominants issus de la fusion entre la science politique américaine et le puissant héritage philosophique, juridique et politique de l’Europe centrale après l’émigration des universitaires chassés par le nazisme. Ainsi, L’American political science association, qui a fêté son 100e anniversaire en 2003 compte près de 15 000 membres.

La tradition d’analyse politique s’est construite autour de plusieurs paradigmes et modèles qui se sont succédé au fil du temps.

Le béhaviorisme

Aux États-Unis, les sciences politiques naissantes s’affirment dans un courant empiriste (appelé aussi « béhavioriste ») qui veut rompre avec les spéculations de la philosophie politique.

Sous l’impulsion de Charles Merriam et de ses étudiants, les sciences politiques se veulent une science, au sens fort du terme : fondée sur les faits empiriques, les statistiques et la rigueur démonstrative. Il faut savoir qu’en 1920 l’« Association américaine de science politique » comprend déjà 1300 membres. Cette puissante association va donner à la discipline une grande homogénéité dans la démarche.

Le vote, les partis politiques, les groupes de pression, les mécanismes de décision, la propagande et l’influence deviennent des sujets d’étude. Dans ce contexte, qui n’est pas forcément favorable à l’originalité, quelques œuvres vont se distinguer.

Dans les années 1930, les ouvrages du jeune prodige Harold D. Lasswell vont fortement marquer la discipline. En 1927, à l’âge de 25 ans, il publie Propaganda Technique in the World War, qui inaugure les recherches sur la propagande et les mécanismes d’influence. Un autre de ses ouvrages, Politics : Who Gets What, When, How (1936), se préoccupe de la capacité des élites à mobiliser l’opinion autour d’enjeux et de valeurs spécifiques.

Dans cette optique se situent les travaux de Paul F. Lazarsfeld, Bernard R. Perelson, Angus Campbell ou encore Philip E. Converse. Après la Seconde Guerre mondiale, la théorie politique va être marquée par les grands paradigmes qui influencent alors les sciences sociales : l’analyse systémique, le fonctionnalisme, le développementalisme, le rational choice, etc.

L’analyse systémique

David Easton est le promoteur d’une approche qui envisage la sphère politique comme un système. Dans ses livres The Political System (1953), A Framework for Political Analysis (1965) et A Systems Analysis of Political Life (1965), le monde politique fonctionne comme un « système » qui reçoit des informations de l’extérieur (inputs) – demandes (de sécurité, de bien de consommation…) et des offres (soutiens électoraux, etc.) – que l’instance politique doit traiter et gérer.

À la sortie, il y a les actions en direction de la société (outputs) : politiques publiques, législation, déclarations publiques, etc. Les résultats de ces actions agissent en retour (feed-back) comme de nouveaux inputs, etc. Cette vision est fortement marquée par le modèle de la démocratie américaine, où la politique apparaît souvent comme un marché, fait d’incessantes transactions avec des porte-parole de groupes de pression.

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Fonctionnalisme

Gabriel A. Almond fut le chef de file d’un courant fonctionnaliste qui considère le monde politique sous l’angle des fonctions sociales (exécutive, législative, juridique, sociale) qu’il assure.

Ainsi on peut considérer que, dans tous les types de société, le régime doit assurer une fonction de cohésion sociale, de politique et de défense. La société est vue comme un organisme où chaque élément contribue au fonctionnement de l’ensemble. Ce qui diffère alors d’un régime politique à l’autre (monarchie, démocratie, autoritarisme, etc.), ce sont les différentes formes que prennent ces fonctions sociales.

G.A. Almond s’est employé à faire une étude comparative des divers régimes politiques, notamment ceux du tiers-monde et ceux des pays industrialisés. (G.A. Almond et G.B. Powell, Comparative Politics, 1966).

Développementalisme

Une des questions longuement débattues à partir des années 1960, parmi les spécialistes de sciences politiques, est celle de savoir s’il existe des étapes universelles de développement de l’État, des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes.

Cette approche développementaliste, d’abord abordée dans une perspective progressiste, s’est orientée vers une approche complexe intégrant la diversité des dynamiques nationales (voir notamment David Apter). Ce débat a eu lieu parallèlement aux études sur le développement économique : il mettait aux prises les universalistes et les « indépendantistes ».

Rational choice et public choice

À partir des années 1970, le courant du rational choice a connu, dans les sciences politiques américaines, un véritable boom. Pratiquement inexistant au début des années 1950, il représente quarante ans plus tard 40 % des publications des grandes revues de sciences politiques.

Le livre Social Choice and Individual Values (1951), de l’économiste Kenneth J. Arrow, est à l’origine de l’exportation de ce modèle dans le domaine politique. Son modèle permettait d’appliquer au vote les outils mathématiques de la vie microéconomique : théorie des jeux, théorie mathématique de la décision, etc.

Appliqué à la vie politique, le modèle du rational choice consiste à considérer que les élus, comme les électeurs, ne sont pas animés par la recherche de l’intérêt général, mais d’abord par la défense de leurs propres intérêts (voir par exemple Mancur Olson et le paradoxe de l’action collective : La Logique de l’action collective, 1965).

James Buchanan, prix Nobel d’économie en 1986, est le fondateur du courant du « public choice », mode d’analyse qui applique à la vie politique les principes du choix rationnel. Dans The Calculus of Consent (« le calcul du consentement »), écrit avec Gordon Tullock en 1962, J. Buchanan critique le mirage d’un État perçu comme une instance supérieure qui défend l’intérêt général.

L’État est d’abord un instrument mis entre les mains d’élus et de fonctionnaires, d’individus rationnels qui visent avant tout à maximiser leurs intérêts. Dans cette optique, l’élu veut d’abord se faire réélire. L’électeur se comporte comme un consommateur de biens.

Cette vision cynique de la politique comme un marché a des conséquences très importantes sur la vision des choix publics. Par exemple, à la veille des élections, les hommes publics ont intérêt à distribuer des avantages à leurs électeurs et à engendrer des travaux publics. Certains électeurs (dits « électeurs médians ») sont particulièrement choyés, car ils peuvent faire basculer une majorité dans un sens ou un autre.

Les évolutions de la science politique en France

Contrairement à certaines craintes, la science politique anglo-saxonne n’a jamais été assez homogène pour imposer des problématiques et des méthodes de recherche strandardisées, mais elle se situe au carrefour de la plupart des tendances actuelles de la recherche.

On pourrait difficilement en dire autant de la France qui conserve en la matière des traditions solidement ancrées.

En 1871 est créée l’École libre des Sciences politiques, rue Saint Guillaume, à Paris. Elle est l’ancêtre de « Sciences po ». Le géographe André Siegfried y enseignera (à partir de 1911). Son Tableau politique de la France de l’Ouest (1913) donne naissance à la géographie électorale.

Mais il faut attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour que les sciences politiques connaissent un véritable essor. Sous l’égide de Georges Burdeau, Jean Stoetzel (qui initie l’étude des sondages d’opinion), Raymond Aron et Maurice Duverger, dont les manuels vont former des générations d’étudiants. En 1951 est crée la Revue française de science politique. « La discipline étant entièrement constituée à partir des années cinquante, l’évolution va se poursuivre dans un double mouvement de professionnalisation des auteurs et de diversification des recherches » (P. Favre, Histoire de la science politique, in Traité de science politique, t. 1, M. Grawitz, Jean Leca).

Dans les années 1960, la science politique est tiraillée entre les approches marxistes (Althusser), un courant plus libéral (R. Aron, G. Freund, René Rémond). À partir des années 1980, les études se diversifient et deviennent plus techniques : étude de sociologie électorale (P. Perrineau, N. Meyer), études comparatives (B. Badie), théorie politique (J. Baechler, P. Manent, C. Lefort, P. Rosanvallon), analyse des politiques publiques (J.-C. Thoenig, P. Muller, B. Jobert…), l’analyse des relations internationales (P. Hassner).

Des sujets d'étude sans cesse renouvelés

Au total, les thèmes privilégiés des sciences politiques sont multiples : ils concernent l’étude des élites, des régimes politiques, de la nation et les nationalismes, les comportements électoraux, les mobilisations collectives, les politiques publiques et les idéologies politiques.

À partir des années 1990, de nouveaux thèmes sont apparus, liés à l’évolution des sociétés : la construction européenne, les conflits inter-ethniques, le terrorisme, les politiques de santé, la gouvernance mondiale…

D’autres perspectives se dessinent aujourd’hui à travers l’approche « pragmatique » des phénomènes politiques et institutionnels. Proche de la sociologie pragmatique, elle cherche à observer à des échelles parfois réduites les modalités d’interactions des personnes entre elles et avec l’environnement, et cela à propos d’actions concrètes et précises.

Mais on aurait tort de vouloir classer les sciences politiques en courants et en domaines aux frontières précises et rigides. De nombreux chercheurs et politologues n’appartiennent pas à une école de pensée, mais se consacrent à l’étude d’un phénomène (les idées politiques au 20e siècle, la politique régionale, la communication politique, la psychologie des hommes d’État) ou d’une région (les « soviétologues », les spécialistes d’Afrique, d’Inde, d’Asie, des pays arabes).

Au total, si les sciences politiques peinent à trouver leur identité et leurs frontières, cela n’est pas forcément un mal. Cela joue en faveur de la diversité et de la richesse de leurs contributions.