« Salope ! »
« Tu vas mourir, tu vas mourir, tu vas mourir, tu vas mourir… »
« Tu as la connaissance. »
« Merveilleux. Wonderful. Merveilleux. Maravilloso. »
« Sauve-toi ! Tout de suite ! »
Depuis le début de la psychiatrie, il n’était pas question de s’intéresser de trop près aux voix hallucinatoires. À l’exception d’une poignée de praticiens comme le neurologue Henri Ey (1900-1977), les médecins préféraient ignorer le phénomène, de peur d’entretenir le délire des malades. À partir des années 1950, l’objectif explicite fut de faire taire les hallucinations auditives : l’avènement des neuroleptiques, en atténuant les symptômes de la schizophrénie, était censé bâillonner les voix. Au début du 21e siècle, coup de théâtre, la phénoménologie des hallucinations auditives explose ! Voilà qu’on s’intéresse précisément à leur contenu, aux mécanismes de leur surgissement, à l’expérience subjective des patients. On a ouvert enfin la boîte noire… mais c’est une boîte de Pandore, tant ces fameuses voix recouvrent de phénomènes plus insaisissables et variés que prévu.
Voix au chapitre
Que s’est-il passé pour qu’on assiste à un tel revirement ? Le mouvement est venu en partie de certains patients, qui ont appris à vivre avec leur particularité et joué la totale transparence au sein du mouvement des Entendeurs de voix (encadré ci-dessous). Et en partie de chercheurs qui, désespérant de comprendre pourquoi certaines voix résistaient aux traitements neuroleptiques, ont pris le problème à bras-le-corps. « Les antipsychotiques ont permis de limiter les hallucinations auditives, mais c’est en arrivant à la limite de ces thérapeutiques, face à des hallucinations résistantes, qu’on s’est interrogé sur la phénoménologie. L’enjeu est de permettre l’émergence de nouveaux traitements », explique Sarah Smadja, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris 1. Les hallucinations auditives se révèlent beaucoup plus fréquentes en psychiatrie que les hallucinations visuelles qui, en général, signent plutôt une pathologie neurologique. D’où, là encore, l’intérêt de mieux les connaître. Or, plus on s’efforce de répertorier leurs manifestations, plus les voix révèlent leur diversité.
D’abord, on le soupçonnait mais les résultats ne cessent de le confirmer depuis une vingtaine d’années : entendre des voix n’est pas l’apanage des schizophrènes. Certes, environ 70 % d’entre eux seraient sujets à des hallucinations auditives, surtout durant les épisodes de décompensation qui leur font perdre contact avec la réalité. Mais il est également possible d’entendre des voix hors schizophrénie : sous le coup d’un traumatisme (y compris un deuil), d’une dépression sévère, de troubles anxieux, ou encore de pathologies somatiques (neurodégénératives, par exemple). À quelle fréquence ? Difficile de le préciser puisque ces hallucinations passent facilement inaperçues aux yeux des médecins : les malades non schizophrènes en parlent peu, et les cliniciens, ne s’attendant pas à les trouver, les détectent d’autant plus mal qu’ils ne les cherchent pas…