Avec un peu de bon sens et beaucoup de bonne foi, nous nous accorderons tous à dire que l’on vit plus sereinement avec que sans argent, surtout dans un monde en crise. Difficile en effet de vanter les bienfaits du dénuement et de l’amour désintéressé de son prochain à ceux, de plus en plus nombreux, que le carton sous l’abribus menace. Mais argent et bonheur sont-ils vraiment corrélatifs ?
Le salaire minimum du bonheur
En 2008 était lancé aux États-Unis l’indice de bien-être Gallup-Healthways, devenu en six ans la plus grande base de données existante sur le bonheur. À ce jour, elle contient 1,9 million de questionnaires remplis et, depuis 2013, s’intéresse non plus seulement au bonheur des Américains, mais à celui de presque tous les habitants de la planète. En 2010, Daniel Kahneman, éminent psychologue de l’université de Princeton et premier chercheur en psychologie à avoir reçu le prix Nobel d’économie, s’est appuyé sur les données Gallup pour mener avec l’économiste Angus Deaton une étude 1 comparative du bien-être instantané et de la satisfaction générale dans la vie ,en fonction des différentes tranches de revenus. Notons que le bonheur instantané est émotionnel – celui ressenti sur le moment – tandis que le bonheur général, aussi appelé mémoriel, est celui que l’on peut évaluer en pensant à un moment passé et, plus globalement, en faisant le bilan de sa vie. Pour cette étude, 700 000 Américains ont été interrogés, rien que cela ! Il en ressort que l’argent contribuerait significativement au bonheur instantané, jusqu’à un seuil de revenus de 75 000 dollars annuels (environ 54 300 euros), mais qu’au-delà de ce seuil, l’argent ne ferait plus le bonheur. Autrement dit, on se sentirait heureux au quotidien en étant dégagé des angoisses de fins de mois difficiles, mais pas en amassant plus que nécessaire. Un résultat somme toute assez logique. En revanche, quand la même étude affirme qu’en ce qui concerne la satisfaction de vie globale, le niveau de revenus semble exercer une influence continuelle, même pour les revenus les plus aisés, on se dit que la distinction entre bonheur immédiat et bonheur global paraît un tantinet artificielle tant l’analyse est contradictoire... En résumé, être un Américain heureux, c’est toujours être un Américain avec des moyens…