La simplexité, une propriété fondamentale du vivant

Pour survivre dans un monde d’une prodigieuse complexité, 
le cerveau applique des stratégies visant à simplifier la perception, le mouvement, la décision… et peut-être les sentiments

La notion de simplexité que je propose résume une remarquable nécessité biologique apparue au cours de l’évolution pour permettre la survie des animaux et de l’homme sur notre planète : malgré la complexité des processus naturels, le cerveau doit trouver des solutions, qui relèvent de principes simplificateurs, en tenant compte de l’expérience passée et en anticipant l’avenir. Elles facilitent aussi la compréhension des intentions d’autrui.

Ma thèse est que, en complément des « théories de la complexité », il faut construire une « théorie de la simplexité ». Elle peut s’inspirer de propriétés fondamentales du vivant. Prenons quelques exemples.

• L’inhibition est l’une des plus grandes découvertes de l’évolution. Tous les grands centres du cerveau qui sous-tendent la perception et l’action, la prédiction du futur, la décision sont le siège, ou l’origine, de puissantes inhibitions. Nos « fonctions exécutives » nous donnent la capacité d’inhiber des stratégies cognitives primitives ou des réflexes innés trop automatiques.

• La spécialisation est un outil majeur de la simplexité. Elle conduit à la « modularité » des fonctions, certainement une propriété fondamentale des organismes vivants. Notre cerveau est, en effet, formé de centres spécialisés dans des traitements bien précis – le visage, le corps, les mémoires, le langage, l’espace proche ou lointain, les émotions, etc.

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• L’anticipation et la prédiction, troisième principe, sont fondées sur la mémoire. Cette double stratégie, prospective et rétrospective, inscrit le présent dans le flux dynamique d’un univers changeant. Elle permet de comparer les données des sens avec les conséquences des actions passées et de prédire les conséquences de l’action en cours. La rapidité, nécessaire pour survivre, exige l’anticipation, la prédiction des conséquences de l’action. Celle-ci est indispensable pour capturer une proie ou échapper à un prédateur. Chez l’être humain, la peur à la vue d’une vipère met entre 75 et 100 millisecondes pour se déclencher. Cela est également vrai avec des actes cognitifs plus complexes, comme la prise de décision qui se fait parfois en une fraction de seconde.

• L’anticipation fondée sur la mémoire implique que la simplexité s’accommode de l’incertitude. Par exemple, nous ne pouvons avoir qu’une estimation de la vitesse de notre corps dans l’espace, de la météo de demain ou encore de l’état réel du marché des changes. L’important est de bien saisir que l’anticipation est toujours probabiliste.

 

Quelques exemples pour la perception et l’action

Les découvertes récentes sur les bases neurales de la perception ont révélé un paradoxe. Par exemple, la vision décompose le monde en propriétés élémentaires dans les premiers relais visuels. On trouve ainsi séparés couleur, mouvement, contraste, etc. Un visage n’est donc d’abord perçu que grâce à ses éléments. Puis on assiste à une division du traitement en « voies » séparées. Certaines, sous-corticales, permettent de répondre très rapidement. Même dans le cortex, des voies identifient plus vite les objets naturels (visages, corps humains ou animaux) que les objets physiques ou artificiels. D’autres traitent respectivement de la localisation (où ?), de l’identité (quoi ?), de la valeur (bon ou mauvais, dangereux ou aimable). Cette extraordinaire modularité exige alors une recombinaison dont les mécanismes sont encore discutés. Le cerveau fait un détour qui est simplexe car il permet, par cette décomposition, d’enrichir considérablement l’analyse du monde.